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l’ordre de partir immédiatement pour l’Angleterre. Les prisonniers étaient au nombre de soixante-douze ; Israël les excita à la révolte et forma avec eux le projet de s’emparer du vaisseau, mais ils furent trahis par un déserteur anglais, deux fois renégat, qui avait abandonné son drapeau pour passer du côté des Américains. Israël fut mis aux fers, et y resta jusqu’à l’arrivée de la frégate à Porstmouth. Pendant la traversée, la petite-vérole avait enlevé environ un tiers des captifs. Les survivans furent dirigés sur Spithead et jetés à bord d’un ponton. Là, enfoui dans l’intérieur du bâtiment, Israël vécut tout un mois comme Jonas dans le ventre de la baleine ; mais un beau matin un des canotiers du bateau du commandant tomba malade, et Israël fut désigné pour le remplacer. Les officiers étant allés à terre, quelques-uns des hommes de l’équipage, en joyeux Anglais, proposèrent d’aller à un cabaret du voisinage pour y boire ensemble quelques pots d’ale. Ils partent, et Israël avec eux. En entrant dans le cabaret, Israël trouve un prétexte spécieux de laisser là ses camarades ; prenant ses jambes à son cou, il fuit comme un daim, et franchit sans s’arrêter un espace de quatre milles. Il se dirigeait sur Londres, pensant sagement qu’au milieu de cette fourmilière il serait impossible de le découvrir. À une distance de dix milles, au moment où, se croyant en sûreté, il passait près d’un petit cabaret de village, il s’entend interpeller.

— Eh ! arrêtez !

— Si vous voulez vous mêler de vos affaires, j’arrangerai les miennes tout seul et de mon mieux, répond froidement Israël, et il se remet à courir avec une vitesse de trente milles à l’heure ; mais les cris deviennent de plus en plus nombreux : — Arrêtez le voleur ! arrêtez ! — Au bout de quelques minutes, l’agile cerf, essoufflé et haletant, est saisi. Voyant qu’il ne servirait à rien de mentir, Israël se déclara franchement prisonnier de guerre. L’officier qui l’avait arrêté le fit conduire à l’auberge. Deux soldats furent chargés de garder Israël, qui se trouva subitement le lion de la localité. Pendant toute la soirée, l’auberge fut remplie d’étrangers accourus pour voir le rebelle Yankee, qu’ils se représentaient comme une sorte d’animal curieux et jusqu’alors inconnu. Israël se montrait très affable avec eux. Ni leurs plaisanteries, ni leurs insultes n’avaient le don de l’émouvoir ; il était absorbé dans une seule pensée, l’évasion.

L’officier, qui était un homme de bonne composition, donna l’ordre de servir pour cette soirée à Israël toutes les liqueurs qu’il pourrait désirer. Israël profita de la permission pour inviter les deux soldats à boire avec lui. Un farceur de la bande proposa qu’Israël divertit la société en exécutant une danse ; il avait entendu dire que les Yankees étaient des danseurs fort habiles. On apporte un violon, et Israël,