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auprès de sa personne et dans le château, et il les remplaça par deux régimens poméraniens ; puis, donnant pour prétexte les défaites subies par ces régimens en Finlande, où tous n’avaient pas été envoyés, il les licencia par ordonnance du 12 octobre 1808. Une telle violence allait faire de ces hommes frappés injustement autant de conjurés. Gustave refusait de plus en plus de comprendre les avertissemens qui lui étaient prodigués. Prières et menaces, annonces mystérieuses ou publiques du danger, témoignages même de sa conscience et prévisions involontaires, il méprisa tous ces signes avant-coureurs, et sa manie les tourna au contraire au service de son idée fixe. Un jour du commencement de mars 1800, il dit à un de ses confidens qu’il avait eu un rêve remarquable ; il avait vu la dame blanche ce spectre qui n’apparaît que lorsqu’un danger menace le roi ou la famille royale de Suède. À son avis, la signification du prodige n’était pas douteuse ; c’était une apparition divine pour le fortifier dans son dessein de ne jamais traiter avec la bête. Un autre jour cependant, feuilletant un album qui contenait les portraits des Vasa, il s’aperçut que le premier manquait, le fit chercher et ne le retrouva qu’au fond d’un coffret en forme de cercueil ; il en conclut cette fois avec chagrin que la famille royale s’éteindrait prochainement. Vers cette époque enfin parut et circula le récit d’une prétendue vision de Charles XI, connue en France par le saisissant tableau qu’en a tracé en quelques pages M. Mérimée. On connaît en Suède, sous le titre de Vision de Charles XI, deux pièces de dates différentes, sur l’origine et l’interprétation desquelles l’esprit public n’a jamais été bien fixé ; l’une, en vieux langage, expose comment Dieu, entre autres signes de sa grâce envers le pieux roi, permit que l’avenir de la Suède lui fût révélé.


« Pendant les premiers mois de l’année 1697, dit l’auteur anonyme, le roi Charles souffrait de la maladie qui devait le conduire au tombeau. Le 2 avril, à six heures du matin, après une longue insomnie, il crut tout à coup entendre du bruit dans la chambre des états, contiguë à son appartement. Il chargea un de ses écuyers d’aller voir ce que c’était et de faire cesser le bruit. L’écuyer revint en assurant que la salle était fermée, complètement vide, et qu’on n’y entendait rien. — Une heure après, le roi fut saisi de la même idée ; un chambellan qui était là fut envoyé et rapporta la même réponse. — à peine l’horloge sonnait-elle dix heures que le roi se leva sur son séant, fit faire silence, et dit : « Messieurs, n’entendez-vous pas du bruit dans la salle des états ? — Non, sire ! fut la réponse, générale. — Nous irons donc nous-même vérifier ce que cela peut être, » dit le roi, — et, sans écouter aucune objection ni aucun conseil, il se fit habiller et aider à descendre. Arrivé aux dernières marches de l’escalier, il s’arrêta tout à coup et parut en proie à un trouble profond. Il continua cependant sa marche ; à peine entré dans