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la fille d’un fermier voisin que le père Potter considérait comme un parti peu sortable pour son fils. Poussé au désespoir par la résolution de son père, le pauvre garçon prit la détermination de s’évader secrètement et d’aller chercher une autre demeure et d’autres amis. Un dimanche matin, pendant que toute la famille était à l’église, il fit un petit paquet de ses hardes, le cacha dans un bois qui s’étendait par derrière la maison, et le soir, par une chaude nuit de juillet, il mit son projet à exécution. Il se coucha au pied d’un pin afin de se reposer jusqu’à l’aurore. Lorsqu’il se réveilla et qu’il entendit le murmure si triste du pin au-dessus de sa tête, toutes les fibres de son cœur tremblèrent, et des larmes coulèrent de ses yeux ; mais il pensa à la tyrannie de son père, à ses amours déçues, et alors il plaça résolument son paquet sur son épaule, puis se mit en marche.

L’intention d’Israël était de se rendre dans la contrée nord-ouest située entre les colonies hollandaises des bords de l’Hudson et les colonies yankees de l’Housaton, afin d’éviter toute recherche. Il y arriva sans aventures, se mit aux gages d’un fermier pour trois mois, le temps de la moisson, et puis passa sur les bords du Connecticut. Là il loua son travail pour trois mois encore, moyennant un salaire de deux cents acres de terre situées dans le New-Hampshire. Le bon marché de cette terre provenait non-seulement de son état inculte, mais des périls qui l’environnaient. Les rares habitans de cette contrée craignaient à chaque instant d’être assaillis, tués ou faits prisonniers par les sauvages du Canada, qui, depuis la guerre avec la France, ne manquaient pas une occasion de faire irruption dans ce pays sans défense.

Trompé par son maître et n’ayant en main aucun moyen légal de se faire rendre des comptes, Israël s’engagea en qualité d’aide parmi les arpenteurs royaux qui, à cette époque, dressaient le cadastre des terres qui s’étendent tout le long du Connecticut. Après avoir réuni une petite somme, Israël se fit chasseur. Daims et castors abondaient, et au bout de quelques mois notre héros avait une assez jolie provision de fourrures à vendre. Avec le produit de ses fourrures, il acheta cent acres de terre et se bâtit une cabane ; en deux ans, il défricha et mit en plein rapport trente acres de sa petite propriété. Les travaux agricoles ne l’occupaient que pendant l’été ; l’hiver il chassait. À la fin des deux ans, il revendit sa terre à un assez bon prix, se mit à faire le commerce avec les sauvages, et traversa le Canada en qualité de colporteur. Ce voyage fut lucratif. Content et la poche pleine, Israël eut l’envie de visiter sa fiancée et ses païens, dont, depuis trois ans, il n’avait pas de nouvelles. Ses parens furent joyeux et étonnés de le revoir, car ils l’avaient cru mort ; mais le père Potter n’avait pas changé de résolution et se montra aussi inflexible