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choses ne se passeraient pas si simplement parmi nous. D’abord il est permis de douter que 1 milliard de billets de 20 francs et de 10 francs, non remboursables à vue, circulassent au pair avec la monnaie d’argent, quelque bien garantis qu’ils fussent par des dépôts d’or démonétisé. En second lieu, l’argent à monnayer devant être pris en grande partie à la masse monétaire des pays où l’argent presque seul remplit les canaux de la circulation, on ne pourrait pas l’y remplacer par de l’or ; il s’y produirait un vide qui causerait une disette de monnaie[1], une baisse de tous les prix, une crise commerciale générale[2].

La France, réduite à la monnaie d’argent, souffrirait de son isolement monétaire dans ses vastes relations avec l’Angleterre et les États-Unis, qui ont adopté la monnaie d’or[3], et qui ne songent pas à y renoncer. Notre commerce d’exportation recevrait aussi par la démonétisation de l’or une atteinte irréparable. Nos lois de douane sont en effet combinées de manière à limiter nos importations et à obliger nos armateurs à faire une partie considérable de leurs retours en métaux précieux, et aujourd’hui en or. Les opérations basées sur des retours d’or, ou liquidées en cette valeur, seraient arrêtées, et quelques centaines de millions peut-être de nos produits manufacturés devraient chercher au rabais de nouveaux acheteurs. On verrait alors qu’il y a plus d’inconvénient à retirer quelques centaines de millions à la circulation de l’Europe qu’à y laisser ajouter plusieurs milliards par le cours naturel des choses.

Les partisans de la démonétisation n’ont pas parlé de toutes ces difficultés, mais on voit qu’ils les ont pressenties. Au lieu de conclure purement et simplement, ils ont déclaré qu’ils se bornaient à soulever une question grave, et qu’ils en abandonnaient la solution à de plus experts.

On a émis une opinion moins réservée sur un autre point qui serait aussi très délicat, s’il n’était depuis longtemps résolu. On a dit, à l’occasion de la démonétisation de l’or, que la loi du 7 germinal an XI, constitutive de notre système monétaire, donnait aux créanciers le droit d’exiger dès à présent leur paiement en argent. C’est une erreur qu’aucun jurisconsulte n’aurait commise. La loi de l’an xi déclare que le franc est l’unité monétaire, et qu’il contiendra

  1. L’accroissement des billets de banque pallierait le mal ; mais sur le continent, c’est une ressource limité par les habitudes du public
  2. En 1846, l’importation du blé en France a fait exporter 120 à 130 millions de francs, et ce faible déplacement a causé une grande gêne.
  3. La monnaie d’or et celle d’argent ont un cours légal aux États-Unis ; mais le rapport des deux métaux, favorable à l’or, a fait exporter la plus grande partie de le monnaie d’argent.