Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/141

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

conserver sa monnaie d’argent et dans l’espoir d’échapper aux effets de la dépréciation de l’or ; sa mesure a même été plus radicale que celle de la Hollande, car elle a retiré toute la monnaie frappée et interdit le monnayage de l’or à l’avenir. La Hollande a simplement ôté le caractère légal à la monnaie d’or et offert le remboursement au pair à ceux qui le demandaient. L’inquiétude de la dépréciation de l’or était si peu prononcée, que sur 175 millions de florins, soit environ 360 millions, de francs, à peine la moitié a été présentée à l’échange contre argent.

Si cette mesure était appliquée à la France, elle y causerait une perturbation proportionnée à l’importance que la monnaie d’or a déjà prise dans la circulation ; à la grandeur des entreprises que l’abondance des capitaux a fait naître et multiplie chaque jour, et aux besoins que les emprunts causés par la guerre rendent aussi vastes qu’impérieux. Il a été frappé en France depuis 1848 pour plus de 1,300 millions de monnaie d’or ; on peut supposer que le mouvement du commerce en a fait exporter 2 ou 300 millions, et il est probable qu’il en reste un milliard. Si cette masse d’or était démonétisée, le gouvernement serait obligé, dans un délai très court, de la remplacer au pair aux mains des porteurs par des pièces d’argent, comme l’ont fait loyalement les petits états de Belgique et de Hollande. Une demande de 1 milliard en lingots d’argent dans un temps où la production annuelle ne dépasse guère 200 millions ferait peut-être monter la prime, non à 36 fr., taux où nous l’avons vue l’année dernière, mais a 100 fr., et dans ce cas l’opération, de ce chef seul, coûterait à l’état 100 millions, auxquels il faudrait ajouter quelques millions pour frais d’affinage, commission, etc. À côté de ces pertes directes[1] il faudrait mettre en ligne de compte la perturbation temporaire de tous les prix en France par l’effet de la prime que la mesure elle-même produirait. L’opération de la Hollande n’a porté que sur 80 millions de florins (environ 160 millions de francs), et elle a sensiblement affecté les grandes places de commerce, quoiqu’elle ait été facilitée par des moyens d’exécution dont le succès serait moins assuré en France. En Hollande, des billets de mêmes coupures que les pièces d’argent ont remplacé la monnaie retirée, et ont circulé sans difficulté ; de plus, la monnaie d’or exportée en Angleterre et en France a été frappée, dans ces deux pays, en souverains et en pièces de 20 francs, qui se sont substitués sans secousse aux lingots d’argent de la banque d’Angleterre et aux pièces de cinq francs vendues à la Hollande. Les

  1. La hollande, opérant en 1849, n’a eu à supporter que quelques faux frais sans importance. La Belgique a supporter, sous forme de perte d’intérêt, une prime de 4 à 5 pour cent.