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de langage et d’esprit, l’impolitesse involontaire, l’impuissance de se plier aux coutumes les plus simples des pays étrangers, toutes ces particularités du tempérament d’Israël Potter se retrouvent et se retrouveront longtemps encore dans le tempérament américain.

Le héros de M. Melville nous a rappelé un autre personnage non moins original, le Sam Slick de M. Halliburton. Entre ces deux types tracés, l’un par un patriote des États-Unis, l’autre par un tory de la Nouvelle-Ecosse, il n’y a que la naïveté en moins et l’arrogance en plus ; mais cette différence est considérable et suffit pour montrer le chemin que les Américains ont parcouru depuis la révolution. À notre avis, ils ont toujours les mêmes qualités, seulement sous une forme moins naïve et moins simple. Il y est entré de l’alliage. Cette indépendance est devenue de l’orgueil, cet aplomb dans le danger est devenu souvent de la jactance, et pour tout dire, quoique les Américains n’aient rien perdu des vertus essentielles de leurs pères, ils ne les ont pas améliorées ; ils les ont accusées de plus en plus, ils les ont exagérées, voilà tout. Loin de les perfectionner moralement et d’en faire une force intellectuelle, ils en ont fait pour ainsi dire une force mécanique, qui agit fatalement comme la vapeur et l’électricité, si bien que dans ces vertus tout est pour ainsi dire matériel et de tempérament plutôt que moral et réellement humain. Pour notre part, nous préférons le caractère d’Israël et de ses compagnons d’armes à celui des énergiques know nothing et de ces aventuriers toujours prêts à partir pour la conquête de Cuba ou des états du roi Kamehameha.


I

Les touristes qui n’ont pu encore se plier à nos habitudes de voyage à la vapeur et qui aiment à jouir paisiblement de chaque pouce de terre qu’ils foulent, de chaque site pittoresque qui s’offre à leurs yeux, peuvent visiter la partie est du comté de Berkshire dans le Massachusetts. La physionomie singulière de cette contrée inconnue leur fournira d’amples sujets de rêveries poétiques. La route passe sur des hauteurs, et, pendant presque tout le voyage, il semble que l’on se promène sur quelque terrasse de la lune : vous perdez tout à fait le sentiment des vallées qui s’étendent à vos pieds et même pour ainsi dire le sentiment de la terre. Parfois, lorsque votre cheval galope sur un terrain uni et plat comme une table, et que votre œil parcourt les cimes des paysages au-dessus desquels vous passez, il vous semble que vous êtes quelque constellation accomplissant sa course dans le ciel. Des bois et des pâturages coupés, à de rares intervalles, par quelques champs de pommes de terre composent tout ce pays, dont