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nement lui-même s’est préoccupé de cette question. L’état des finances de l’Espagne serait un grand obstacle, mais d’un autre côté ne serait-ce point un moyen d’arracher le pays à cette confusion stérile où il vit, en lui proposant une action virile dans les conflits actuels de l’Europe ? L’Angleterre et la France ne trouvent donc que de sérieuses sympathies chez la plupart des peuples, qui ont l’instinct de cette solidarité qui les unit dans la défense de la civilisation européenne. Il est deux pays cependant où les deux puissances n’ont pas le privilège d’obtenir la même faveur. Ces deux pays sont la Grèce et Naples. En Grèce, c’est toujours une grande question de savoir quelles influences domineront, et cette lutte d’influences est venue s’aggraver de l’incident qui a rendu assez difficile le maintien au pouvoir du ministre de la guerre, le général Kalergi. Le roi persiste à ne point vouloir de son ministre, et la difficulté n’est pas résolue. Au fond, la véritable et grave complication d’où naît le péril du royaume hellénique, c’est cette esjïèce de fascination à laquelle se laisse aller le roi Othon en inclinant toujours vers une politique qui veut être grecque, et qui n’est que russe. Le gouvernement napolitain ne semble-t-il pas céder au même penchant en élevant toute sorte de difficultés puériles ? Qu’en résulte-t-il ? C’est qu’il doit nécessairement contraindre l’Angleterre et la France à surveiller sa politique. Les autorités napolitaines se sont mises dans une sorte d’hostilité contre la légation anglaise. Il est à croire que cet étrange système cessera avant que les deux puissances aient à prendre quelque mesure sévère ; l’influence de l’Autriche peut agir ici utilement en ramenant le cabinet de Naples à une conduite plus conforme à ses intérêts. Ce ne sont point là en réalité des difficultés sérieuses ; ce ne sont que des côtés fort secondaires d’une situation qui dans son ensemble est dominée par ces grands faits : la prise de Sébastopol, l’éclatante victoire des armées alliées, l’ascendant croissant de l’Occident. Ces résultats acquis dès ce moment sont le fruit d’une politique sagement hardie pratiquée en commun par l’Angleterre et par la France.

Le bruit de ces succès, achetés malheureusement trop cher, est venu remplir ces derniers jours. Paris s’est illuminé spontanément, un Te Deum a été chanté. Il en est de même sur tous les points de la France, où l’héroïsme de nos soldats ne peut provoquer qu’un sentiment unique, un patriotique orgueil. Tout ce qui ressort de la vie intérieure s’effacerait entièrement devant les grandes choses qui viennent de s’accomplir, s’il ne s’était produit en pou de jours deux tristes incidens où semblent se révéler encore toutes les passions révolutionnaires. Une nouvelle tentative de meurtre a été dirigée contre l’empereur au moment où il se rendait au Théâtre-Italien. L’auteur de ce crime, après examen, parait avoir été reconnu atteint d’aliénation mentale. Quelques jours avant, il éclatait à Angers une sorte de mouvement socialiste qui prenait pour prétexte la cherté des subsistances, et qui en réalité était l’œuvre de sociétés secrètes. Un matin, il s’est trouvé qu’une bande de six ou sept cents hommes pourvus de munitions, armés, enrégimentés, se sont portés sur la ville. Ces malheureux étaient, dit-on, dans la persuasion que le même mouvement s’accomplissait à pareille heure sur tous les points de la France, et qu’ils obéissaient à un signal