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russes. Ce n’est pas qu’il faille se hâter de concevoir des illusions. Un grand pays, un pays qui s’attribue une vocation de conquête ne courbe point facilement son orgueil et des desseins séculaires sous le dur niveau de la défaite. En définitive cependant, la Russie n’est-elle pas la première intéressée à faire cesser cette lutte gigantesque où elle a attiré l’Europe ? Quant aux puissances occidentales, elles ont atteint, on peut le dire, le premier but qu’elles poursuivaient dans cette guerre : elles ont soustrait l’Orient à cette suzeraineté onéreuse qui le menaçait sans cesse ; elles ont frappe la Russie dans sa prépondérance, dans son ambition, dans tous ses moyens d’influence et d’action vis-à-vis de l’empire ottoman. Si la paix peut consacrer ces résultats aujourd’hui, l’Angleterre et la France n’hésiteront point certainement à déposer les armes. Si les événemens qui viennent de s’accomplir en Crimée n’ont point pour eifet de régler en Orient cette grande question d’ordre européen, il faut inévitablement s’attendre à voir la lutte entrer dans une phase nouvelle et se dérouler tout au moins sur un autre terrain. La Russie a-t-elle bien réfléchi aux redoutables questions qui peuvent surgir, si elle ne consent pas à signer la paix ?

Quoi qu’il en soit, cette chute de Sébastopol est faite pour retentir profondément en Europe et exercer son influence sur toutes les situations. Elle a eu déjà son effet en décourageant les partisans de la Russie et en relevant l’espoir de tous ceux qui suivent de leurs sympathies les puissances occidentales. À la lumière de cette vigoureuse et décisive action, la politique des gouvernemens allemands paraît assez peu brillante, il faut le dire. Depuis le commencement de la guerre, l’Allemagne est occupée à former des vœux en faveur de la paix, et elle suit la politique la moins propre assurément à rendre cette paix plus facile et plus prompte. Elle prend complaisamment pour un signe de force ce qui n’est qu’une neutralité indécise et impuissante. Elle assiste à toutes les péripéties d’une question où ses intérêts les plus essentiels sont engagés sans rien faire pour les soutenir, déclinant au contraire cette part d’action qui revient à toute grande puissance. Quel a été le suprême effort de son activité dans ces derniers temps ? Il s’est agi de savoir dans quelles limites elle souscrirait à ce qu’on a nommé les quatre garanties, la Prusse ne voulant nullement de ces conditions, l’Autriche persistant à les maintenir, et la diète s’efforçant de trouver un moyen évasif. L’Allemagne n’était point très sûre de s’entendre encore, lorsque la reddition de Sébastopol est survenue tout à coup. L’effet a été grand à Berlin, et la Prusse ne serait point éloignée, assure-t-on, de chercher de nouveau à peser sur la Russie pour l’amener à la paix. On ne saurait demander beaucoup à cette flottante politique. Ce que le cabinet de Berlin redoute le plus, c’est de se trouver engagé d’une façon quelconque par des événemens qui semblent dépasser la mesure de sa fermeté et de sa décision. C’est ainsi qu’il a laissé décliner progressivement son influence dans les délibérations des cabinets au moment où s’agite la destinée de l’Europe. Quant à l’Autriche, elle a applaudi aux récens succès de nos armes, il n’en faut point douter. Elle conserve des relations amicales avec les puissances occidentales ; elle reste leur alliée, et adhère aux principes de leur politique. Elle a refusé de souscrire à toute interprétation de nature à faire considérer sa position dans les