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industriels. Est-ce donc la difficulté de pénétrer à quelques kilomètres de profondeur qui pourra noua arrêter, quand nous avons vu les Américains forer à la vapeur des tunnels immenses dans le roc siliceux ? Au lieu d’un tunnel horizontal, il faudra seulement forer un tunnel en pente ; voilà tout. On formera un escalier tournant suivant une vaste hélice d’une inclinaison convenable pour une descente aisée et surtout pour la construction des ouvrages préservatifs des infiltrations et des éboulemens. Le résultat sera une source de chaleur inépuisable, et pendant le forage, avec une aération bien entendue, les travailleurs et les machines ne craindraient guère la chaleur du sol. Bien plus, à une certaine profondeur, on ferait travailler la chaleur même du terrain au forage ultérieur et à l’agrandissement de la cavité souterraine. On aurait à sa disposition le choix du local et le temps : rien d’impossible dès lors. Il y a en Suisse telle galerie percée dans des rochers qui a demandé plusieurs siècles de travaux. Il n’en faudrait pas à beaucoup près autant ici, si l’on pense qu’il ne s’agit au total que d’un tunnel de quelques kilomètres, ouvrage exécuté bien des fois dans les percemens des voies de fer. Je ne crains pas d’affirmer que les travaux qui créeraient ainsi des sources thermales artificielles seraient tout aussi profitables à la science qu’à l’industrie. Par exemple, à quatre kilomètres de profondeur, le baromètre se tiendrait à une hauteur de trois mètres et demi au lieu de soixante-seize centimètres, qui est sa hauteur moyenne à Paris ;

Au moment où je termine cette étude, un grand événement met en fête la France et l’Angleterre. Entre ces deux pays alliés pour la cause de la justice et de la civilisation, il n’y a plus de détroit. Si les deux nations sont unies pour les conquêtes politiques, elles doivent être unies aussi pour les conquêtes scientifiques. Serait-ce être trop exigeant que de demander qu’à l’exemple de l’expédition d’Égypte et de celle de Morée une commission de savans fût bientôt adjointe à l’expédition de la Mer-Noire, que le merveilleux câble électrique de 600 kilomètres qui nous a transmis les nouvelles de nos victoires nous donnât l’importante longitude de Sébastopol, qui autrefois avait été forcément conclue de celle de Malte, que ce Gibraltar anglo-français devînt pour la civilisation ce qu’il était contre elle, que le degré de salure des mers environnantes fût fixé dans les diverses Saisons et à diverses distances des embouchures des fleuves, — enfin tout ce que peut apprendre une région si nouvelle et si exceptionnellement située entre le Caucase et le Danube, le Tanaïs et le Bosphore ? Jusqu’ici, les graves préoccupations de la guerre ont dû écarter l’idée d’une commission scientifique du Pont-Euxin. Rien aujourd’hui sans doute ne peut s’opposer à cette création. Qu’on se souvienne de tout ce que l’expédition scientifique d’Égypte a ajouté d’éclat à la campagne militaire, et quel prix y attachait le grand capitaine qui mettait en tête de tous ses titrés Celui de membre de l’Institut. Aujourd’hui comme alors, la science n’est-elle pas une des gloires de la France ?


BABINET, de l’Institut.