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nous-mêmes, nous prendrions immédiatement possession de la Turquie en vertu de cette prédiction. »

Que l’empire turc soit en effet condamné dans sa forme actuelle, c’est un point sur lequel nous sommes, pour notre compte, suffisamment édifié; mais il est curieux de voir comment un homme placé en dehors de la politique active, préoccupé seulement du point de vue spirituel et scriptural, arrive à ces conclusions. Le docteur Cumming considère, et il le répète souvent, les journaux comme les commentateurs involontaires et les plus fidèles des prophéties, et il cite des extraits de correspondances d’Orient trop nombreux pour que nous puissions les reproduire ici. Or de cette masse de témoignages il résulte que les Turcs, avec leur fatalisme ordinaire, regardent eux-mêmes comme imminent l’accomplissement des prophéties qui prédisent la fin de leur puissance en Europe. Ils reculent à leur tour devant le flot envahissant des chrétiens, et ils s’en retournent en Asie. Voici ce que disait, entre autres, une correspondance de Constantinople de cette année : « Maintenant que le danger immédiat du côté de la Russie a cessé, et que l’enthousiasme des premiers temps s’est calmé, les sentimens de la race turque ont considérablement changé. Tout autre désir a fait place à celui d’être débarrassé des armées de l’Occident. La terrible perspective toujours placée devant les yeux des musulmans est l’avènement des races chrétiennes à l’égalité... Quiconque a les moindres rapports avec les Turcs ne peut douter de l’absolu découragement avec lequel ils envisagent l’occupation actuelle, et de leur désir de la voir finir à tout prix... On est sûr qu’à l’avenir jamais les Turcs ne rappelleront des alliés... Aussi, depuis le siège de Sébastopol, le parti russe chez les Turcs a repris de l’influence. Ce n’est point un parti qui ait une prédilection réelle pour la Russie, ni qui désire voir le tsar à Constantinople,... mais ce sont ceux qui croient plus prudent de s’appuyer sur la protection de la Russie, et de laisser au tsar la prépondérance dans les conseils de l’empire, dans la confiance que pour son propre intérêt, et au au moins pendant leur vie, il laissera durer le système actuel. Le Turc d’aujourd’hui a cessé de voir devant lui au-delà de sa propre génération. L’absence de l’idée de la famille entretient cet état des esprits, qui s’exprime par ces mots : Après moi le déluge. La plupart des Turcs sont sans enfans; leurs femmes pratiquent régulièrement l’avortement... Ces gens-là ne voient donc rien au-delà de la mesure de leur temps, et ils espèrent que la domination russe les laisserait jouir encore de ce qu’ils ont pendant une vingtaine d’années, tandis que l’Occident réformateur et civilisateur détruira le système qui les a enrichis, et élèvera à une alarmante égalité les races énergiques qu’ils redoutent... »

L’auteur, que nous nous bornons à suivre, démontre ainsi par tous les témoignages que l’occupation de la Turquie, l’introduction des chemins de fer et du télégraphe électrique et l’invasion de la civilisation occidentale achèvent de détruire ce qui restait de la domination musulmane en Europe,