Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/130

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dont la main-d’œuvre et les salaires sont le premier élément de production.

En dehors de ce cercle, les prix ont été faiblement affectés par la tendance générale ; le prix des tissus ordinaires, par exemple, est resté à peu près stationnaire ; le prix des propriétés rurales a sensiblement baissé : une propriété qui aurait valu 300,000 fr. en 1847 se vendrait difficilement plus de 250,00à fr. aujourd’hui ; cependant les propriétés sont du nombre des valeurs qui échappent à la dépréciation des métaux précieux, et qui doivent hausser quand ceux-ci baissent.

La vraie cause de la hausse dans le présent, c’est donc le progrès de la richesse dans le monde civilisé[1], l’ardeur de la spéculation, la hausse des profits, celle des salaires surtout, et en fin de compte une disproportion marquée entre la demande et l’offre des loyers et des subsistances : toutes les lois monétaires du monde n’y changeraient rien.

Quant à l’avenir, c’est le domaine des conjectures et de l’imagination. On peut admettre sans doute qu’une offre de métaux précieux hors de proportion avec la demande abaissera leur valeur ; mais quand on voit avec quelle rapidité et avec quelle régularité la production annuelle se classe chez toutes les nations, il n’y a pas lieu de prévoir de graves et subites perturbations. Ce qui s’est passé dans les trois siècles et demi qui se sont écoulés depuis la découverte de l’Amérique est aussi de nature à rassurer les esprits. On estime qu’à l’époque de la découverte de l’Amérique, les métaux précieux existant en Europe pouvaient s’élever à 1 milliard ; la production de ces métaux s’est élevée depuis à environ 40 milliards, et, de l’aveu des personnes les plus éclairées, leur valeur ne s’est abaissée en 355 ans que des 5/6e. Une dépréciation de 5/6e est énorme considérée dans son ensemble ; mais, répartie sur 355 ans, elle est insignifiante : c’est 2,34 pour 1,000, et en nombres ronds ¼ pour 100 par an. Il est donc permis de dire qu’en moyenne, après la découverte de l’Amérique, la marche de la dépréciation a été assez lente pour ne troubler gravement aucun intérêt existant. Bien n’annonce encore qu’il en doive être autrement aujourd’hui. Au XVIe siècle, la population était rare et peu industrieuse, l’esprit d’entreprise était peu répandu, et une importation continue d’or et d’argent était bien plus propre que de nos jours à déranger le niveau

  1. Une des causes les plus énergiques et les moins étudiées de ce progrès, c’est l’énorme économie de capital résultant pour toutes les industries du bon marcha et surtout de la célérité des transports par les chemins de fer et la marine à vapeur. Les fabricans et les marchands renouvellent toutes les semaines et même tous les jours les approvisionnemens qu’ils gardaient six mois ou un an avec déchets et pertes d’intérêt.