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aventures d’Israël Potier, devenu sous sa plume une sorte de légende à la fois démocratique et patriotique.

Depuis la préface, dédiée à son altesse le monument de Bunker-Hill, jusqu’aux dernières pages, qui sont réellement touchantes, ce livre semble en effet une tentative pour déployer dans le cadre d’un récit populaire deux qualités essentielles de l’esprit américain, l’amour-propre démocratique et l’orgueil national. Pour ne parler que du cadre d’abord, M. Melville a procédé comme tous les légendaires ; chez lui comme chez eux, on retrouve l’amour du héros poussé en quelque sorte jusqu’à la susceptibilité, la narration lente et détaillée, le calque fidèle et minutieux de la réalité, l’apothéose et la sublimisation, si nous pouvons ainsi parler des faits les plus humbles. Comme les pieux conteurs qui faisaient souvent un saint d’un honnête anachorète, M. Melville transfigure un pauvre soldat de la guerre de l’indépendance, auquel il prête toutes les vertus de la génération révolutionnaire ; il le présente comme le type de ces vertus sur la terre ennemie, comme le symbole de la démocratie dans un pays aristocratique. « Nous avons voulu, dit-il, payer un tribut de reconnaissance à la mémoire de ce simple soldat, qui, pour prix de ses services et de ses longues souffrances, n’obtint pas même une pension du gouvernement. » Telle a été l’intention du spirituel biographe d’Israël Potter ; mais ce qui doit nous frapper dans son récit, c’est moins encore l’heureuse application des procédés de la légende à une histoire populaire que le naïf orgueil qui l’anime, et où se reconnaît, nous l’avons dit, la double influence de la démocratie et du patriotisme. L’esprit démocratique peut seul expliquer cette glorification d’un mort inconnu, humble soldat et simple citoyen, tombé dès le début de la lutte, condamné à souffrir dès les premiers pas de la patrie, mais dont les souffrances sont indissolublement unies, quelque obscures qu’elles soient, à la naissance des États-Unis. Quant au patriotisme, qui peut en méconnaître l’empreinte dans ce type où respire un si profond sentiment de ce qui fait la force de la société américaine ? Les mêmes vertus qui soutinrent quarante ans l’exilé dans sa lutte contre la détresse sont aussi celles qui pendant ces mêmes quarante années décuplaient la population de l’Amérique du Nord, défrichaient les terres, creusaient des canaux, bâtissaient des villes, et élevaient ce pays au rang de puissance du premier ordre. Israël Potter, on en jugera par le récit qu’on va lire, représente le caractère américain au moment où il était encore en formation, avant que cinquante années d’une prospérité inouïe eussent transformé son assurance énergique en un imperturbable aplomb, son indépendance républicaine en un dédain orgueilleux et menaçant. L’indifférence devant la souffrance et le danger, les habitudes démocratiques