Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/1276

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sans défense contre les séductions du magnétisme et prosélyte ardent de la franc-maçonnerie. Il n’avait certainement pas recherché le trône, mais il crut volontiers que son étoile l’y conduisait.

On raconte ainsi la part que prit le duc de Sudermanie à la révolution de 1809. L’un des conjurés, le colonel Skiöldebrand, alla le trouver : « Dans quelques jours, dit-il au prince, la Suède sera peut-être devenue une province de la Russie; quel rôle compte remplir en de telles circonstances votre altesse royale? » Le duc, qui devinait sans doute, commençait à se troubler et à pâlir. « Nous ne demandons de votre altesse, reprit Skiöldebrand, rien autre chose que de rester neutre jusqu’à ce que tout soit accompli; mais alors le petit-fils de Vasa se montrera-t-il ? Votre altesse royale peut seule nous sauver et nous aider à sauver la Suède. » En écoutant ces dernières paroles, le duc avait repris ses sens et changé de physionomie : d’un ton presque irrité, il demanda qui donc osait venir lui faire de pareilles propositions; mais Skiöldebrand ne se laissa pas émouvoir. « Votre altesse, dit-il d’une voix ferme, a déjà promis... — Comment cela? que voulez-vous dire? — Votre altesse n’a qu’à se rappeler les paroles prononcées autrefois par elle-même pendant son sommeil magnétique : « Quand le navire de l’état est menacé de périr dans l’orage, le vieux pilote s’élance au gouvernail et le conduit au port. » — D’où tenez-vous ces paroles? interrompit le duc interdit. — Je les ai longtemps gardées comme une espérance. — En effet, cela semble écrit. Promettez-moi de vous taire et de ne pas révéler ce secret. . . »

Charles XIII vieillissait dans un affaiblissement à la fois intellectuel et physique; à chaque émotion, ses yeux laissaient échapper des larmes abondantes ; il pleura quand on lui offrit la couronne, il pleura quand il dut choisir son héritier, et la nation lui sut gré d’abord de ce qu’elle attribuait à la vivacité de son patriotisme. Il rencontra un ministre doué d’une pareille facilité d’émotion. Le comte d’Engeström, par suite d’une faiblesse d’organisation qui contrastait avec sa taille gigantesque digne des anciens Scandinaves, avait toujours des larmes prêtes à couler avec celles de son souverain. Il devint et resta son plus intime confident. Ministre des affaires étrangères, on le vit déployer un grand dévouement aux intérêts de son pays pendant la difficile période de 1812 et 1813.

Le nouveau gouvernement avait deux choses à faire en toute hâte. Il fallait, s’il était possible, conclure une paix générale, tout au moins des traités particuliers avec la Russie et la France; il fallait ensuite affermir le trône en désignant un héritier de la couronne, puisque Charles XIII n’avait pas de fils.

Les Russes étaient à quelques lieues de la capitale; déjà quelques familles avaient quitté Stockholm et s’étaient réfugiées dans le centre