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à l’avantage du sculpteur florentin. Canova, malgré sa grande habileté matérielle, n’a d’importance véritable que relativement au temps où il vécut. Considérée en elle-même, la manière de l’auteur de la Madeleine, des Danseuses, de la Vénus du palais Pitti, est plutôt agréable que belle. Elle se ressent du désir qu’a l’artiste de se conformer aux exemples antiques; mais ces exemples, Canova les amoindrit en les ajustant aux proportions un peu étroites du goût moderne. Il complique la simplicité grecque d’une grâce prétentieuse et d’une élégance équivoque; en un mot, il traite l’antiquité comme la nature : il enjolive l’une et l’autre, et en abritant à peu près sa responsabilité personnelle sous un semblant de style classique, il réussit à contrefaire adroitement une apparence, mais non pas à exprimer magistralement une vérité.

Thorwaldsen, dont la réputation égala presque la réputation de Canova, eut un talent et des aspirations d’un tout autre ordre. Quoiqu’il lui soit arrivé de rechercher l’élégance et de la rencontrer, par exemple dans sa Nuit ou dans son Mercure au moment où il vient d’endormir Argus, il ne vise ordinairement qu’à la grandeur, et ce but, il l’atteint quelquefois. Son Lion de la Suisse, ses bas-reliefs représentant le Triomphe d’Alexandre et plusieurs de ses figures allégoriques, portent l’empreinte de l’imagination et de la force; mais cette force est ailleurs employée hors de propos, ou elle dégénère en emphase. Ainsi les compositions religieuses de Thorwaldsen sont traitées dans un style pompeux qui dénature jusqu’à un certain point le sens de l’Évangile. Elles ont plus d’apparat que de vraie majesté, et l’exécution, à force de prétendre à la largeur, y est souvent insuffisante ou vide. En général le ciseau du sculpteur danois manque de précision et de finesse. Dans les dernières œuvres de Thorwaldsen, le mode même du travail matériel peut expliquer ce défaut, le maître ayant fini par laisser aux praticiens le soin de reproduire jusqu’au bout les modèles qu’il leur livrait et par se dispenser de toute retouche sur le marbre; mais les morceaux appartenant à une autre époque, les statues qu’il a travaillées de sa main ont aussi une apparence inachevée, une correction ébauchée et attendant encore la lime. Le talent de Thorwaldsen n’est certes ni sans vigueur, ni sans portée; cette vigueur toutefois ne réside guère que dans les intentions. Il semble que l’artiste, après avoir profondément senti et médité son sujet, n’ait plus pour les formes de la traduction qu’un zèle un peu désintéressé et une indulgence trop facile.

En France, après la fin de l’école portraitiste, école dont Houdon est le dernier représentant considérable, la plupart des statuaires s’inspirèrent de l’antique, mais de l’antique commenté par Canova. Dès lors plus de naturel ni de franchise, plus de ces qualités