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Dupré eut exposé à Florence son Abel mourant, figure véritablement belle, exécutée avec une habileté discrète fort différente à tous égards de la manière académique. « Je viens de voir, écrivait Bartolini, la statue qu’a faite Dupré….. Bravo, la victoire est à nous, et les maniéristes sont perdus à jamais. » Non, la partie ne devait pas être si tôt ni si définitivement gagnée. Douze ans se sont écoulés depuis cette époque sans que l’auteur de l’Abel ait tenu encore tout ce qu’il promettait au début. Peut-être les espérances de Bartolini ne seront-elles justifiées qu’à demi, et celui qu’il semblait regarder comme son successeur et son émule n’est-il appelé qu’à figurer au premier rang parmi ses disciples. Du moins le maître se survit en partie à lui-même dans ces élèves qu’il a directement ou indirectement formés. La méthode inaugurée par lui se propage en dépit de quelques résistances obstinées, la tradition se continue, et le moment n’est pas éloigné peut-être où elle achèvera d’avoir raison des doctrines surannées et de l’esprit de routine.

Les écrivains, de leur côté, travaillent à activer ce mouvement, à décider le progrès que jusqu’ici on a pu seulement pressentir. M. Bonaini en résumant dans quelques pages judicieuses les Opinions de Bartolini sur l’art et l’histoire de ce noble talent, — M. Rossi dans son Examen de quelques sculptures florentines modernes, — MM. Milanesi, Guasti et Pini en rétablissant fort à propos, dans leurs Réflexions sur le purisme, les notions du vrai et du style, — quelques autres érudits encore n’auront pas, il faut l’espérer, défendu inutilement la gloire du maître et la cause de l’art en Italie. Puisse l’événement démentir ainsi les tristes prédictions et les appréhensions de Bartolini lui-même, lorsque, peu de temps avant de mourir, il écrivait dans une heure de découragement : « Le jour viendra où l’on essaiera en vain de reprendre mes idées….. Il suffit…, ajoutait-il en parlant de ce qu’il laissait après lui; le corps est bien malade. Dieu veuille au moins sauver l’âme! »

Sauf ces accès d’inquiétude sur l’avenir et les luttes que par momens encore il fallait soutenir à l’Académie des Beaux-Arts, les