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élève Alcamène. Ces fragmens m’ont appris à étudier et à admirer l’homme créature de Dieu plutôt que l’homme imaginé par les idealisti. »

C’est en effet par ce côté humain, par ce caractère saisissant de vérité, que l’étude des sculptures grecques doit être surtout profitable à un artiste. Elle lui rendra familiers non certains tours de style, certaines formules convenues, mais les secrets de l’art lui-même, c’est-à-dire de la correction dans le naturel. Toutefois autant ces grands exemples sont d’un secours puissant pour apprendre à voir et à exprimer la nature, autant ils peuvent devenir dangereux lorsqu’au lieu de les envisager comme renseignemens, on les prend pour objet même de l’imitation. Copier matériellement l’antique, c’est seulement s’approprier les dehors du sentiment d’autrui; ce n’est plus rendre le sens d’un texte original, c’est traduire une traduction, et l’on sait les innombrables redites en ce genre de la statuaire moderne. Bartolini s’efforçait de prémunir ses élèves contre des tentations si périlleuses. Tout en leur recommandant d’étudier l’antique, il leur interdisait de le parodier; il voulait de plus, assez contrairement à l’usage, qu’on distinguât entre les modèles, et qu’une statue grecque ou romaine ne fût pas réputée admirable par cela seul qu’on la savait authentique. Aussi ne craignait-il guère, quant à lui, de faire bon marché des œuvres même les plus renommées, lorsqu’elles ne lui semblaient propres à intéresser que les archéologues. Ses lettres familières prouvent à cet égard une singulière indépendance d’opinion. S’agit-il du célèbre groupe des Grâces que l’on voit à la Libreria de Sienne, il le compare délibérément à « trois navets. » Une autre fois il dit de l’Apollon du Belvédère, qu’il « s’en irait en morceaux, s’il essayait de marcher. » Il n’en fallait pas plus pour qu’on oubliât ses admirations en face d’autres sculptures antiques, et qu’on taxât de parti-pris aveugle ces marques d’un goût difficile et d’une louable bonne foi.

Bartolini d’ailleurs eût-il, à propos de l’antique, poussé la réserve jusqu’à la défiance, il n’eût fait après tout que mettre à profit certains enseignemens puisés dans l’histoire même de l’école italienne. A aucune époque en effet, l’influence de l’art grec sur l’art de Florence ou de Rome n’a été ni très heureuse ni très féconde, soit que le génie des peintres et des sculpteurs fût rebelle à l’archéologie, soit que leur sentiment, essentiellement chrétien, ne pût, sans se fausser, revêtir les formes païennes. Raphaël lui-même n’a-t-il pas plutôt perdu que gagné à se préoccuper de l’imitation antique? Si grand qu’il se montre encore dans les Loges et à la Farnésine, il n’a plus cette incomparable harmonie, cette aisance suprême qui marquent les ouvrages où il ne s’est inspiré que de