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artiste qu’elles ont guidé : notre école est assez riche de ses propres gloires pour se passer d’emprunts et n’escamoter à son profit la renommée de personne. Que Bartolini ait senti son talent grandir et se développer en France, qu’il ait été utilement secouru par les conseils de David, rien de plus vrai; mais il n’en demeure pas moins italien par le style et le caractère de ses œuvres. C’est là son mérite principal, sa physionomie essentielle, et ce qui lui assure une place à part entre les élèves de David aussi bien que parmi les artistes contemporains de son pays.

Cette physionomie ouvertement nationale au milieu de gens affublés, comme MM. Benvenuti, Camuccini et tant d’autres, des dépouilles de l’art français, ces traits de la race qu’on retrouve chez Bartolini, et qui accusent la descendance des maîtres, parurent d’abord n’exprimer qu’une sorte de bizarrerie et des inclinations assez peu dignes d’estime. Dans l’atelier de David, la foi dégénérait volontiers en intolérance. Le culte absolu de l’antique, l’asservissement à certaines lois mieux faites peut-être pour régenter des érudits que pour inspirer des artistes, tels étaient les fondemens de la doctrine et comme les conditions nécessaires du salut. Tandis que le maître encourageait l’indépendance avec mesure, mais non sans un véritable zèle, les disciples, plus royalistes que le roi pour ainsi dire, entendaient ne rien sacrifier du dogme académique, et condamner comme hérétique quiconque ne se montrait pas exclusivement dévot à Lysippe et à Praxitèle. Bartolini était donc assez mal venu à parler de Donatello, de Ghiberti ou de Michel-Ange devant ces fanatiques de l’art grec, et à interpréter sous leurs yeux la nature avec plus de souci de la vérité que de respect pour les formules classiques. L’accent de sincérité que portaient ses ouvrages semblait une marque de dérèglement, comme, à la même époque, les premiers essais d’un grand peintre paraissaient extravagans par cela seul qu’ils attestaient une volonté libre. M. Ingres était au nombre des condisciples de Bartolini, et il partagea avec lui l’honneur d’une réprobation dont ils se consolaient tous deux en se rendant mutuellement justice.

Sur les bancs de l’école de David, un peu plus tard au couvent des Feuillans, où s’ouvrait, à côté de leur atelier ignoré, l’atelier déjà célèbre de Gros, en Italie enfin, où ils se retrouvèrent en pleine possession de leur talent, mais non classés encore parmi les maîtres, Bartolini et M. Ingres ne cessèrent de se prêter appui et de conspirer en quelque sorte leur renommée future. Ces encouragemens réciproques, cette sympathie qui devançait l’admiration publique, nous apparaissent aujourd’hui avec l’autorité d’un pressentiment largement justifié. Au commencement du siècle, on ne voyait dans