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en vint à se rendre, non sans stipuler la condition d’être absolument déchargé à l’avenir de toute dépense et de tout soin matériel. Lorenzo, âgé seulement de douze ans, se vit donc obligé de se suffire à lui-même et de chercher, en même temps que les occasions de s’instruire, le moyen de gagner son pain. Rude tâche qu’il entreprend pourtant avec joie et qu’il poursuit avec une incroyable force de volonté ! Tantôt il consacre ses soirées et une partie de ses nuits à des travaux à l’aiguille que lui a procurés un tailleur; tantôt il court, au sortir de l’académie, s’enfermer dans une boutique de vitrier et racheter, au moyen de ses minces profits de garzone, les heures que lui ont coûtées ses études d’artiste. Plus tard, il entre comme apprenti chez un sculpteur d’albâtre à Volterre, et là du moins il n’est plus condamné à des occupations tout à fait étrangères à l’art; mais les bénéfices de cette nouvelle situation lui semblent si précieux, qu’il s’empresse d’en élargir un peu trop la mesure, et se prépare ainsi de nouveaux mécomptes.

A l’époque où Bartolini commençait son apprentissage de sculpteur, les compositions gravées de Flaxman étaient déjà répandues dans les divers pays de l’Europe; toutefois, au lieu de cette popularité qu’elles ont acquise depuis un demi-siècle, elles avaient alors l’intérêt d’objets d’art assez rares encore et en quelque sorte de curiosités. En Italie surtout, on recherchait avidement les œuvres de l’artiste anglais, et l’occasion de se les procurer était une bonne fortune que peu de gens réussissaient à rencontrer. Corneil, — tel était le nom du patron de Bartolini à Volterre, — se trouvait au nombre de ces favorisés du sort. En voyant les pièces gravées d’après Flaxman entre les mains de son maître, le jeune garçon avait aussitôt demandé la permission de les calquer. Jusque-là rien que de fort naturel et de très légitime; mais en répondant par un refus, Corneil était, de son côté, pleinement dans son droit. Bartolini eut le tort de ne pas en juger ainsi et d’essayer de dérober ce que l’on ne consentait pas à lui donner. Utilisant assez mal à propos le souvenir de son premier métier, il applique un morceau de cire sur la serrure de la porte qui ferme la chambre où sont les précieuses estampes; il fabrique ou fait fabriquer une clef d’après cette empreinte, et, lorsque tout dort dans la maison, il se glisse crayon en main auprès du trésor convoité. C’était, il faut l’avouer, pousser loin l’amour de l’art et sacrifier un peu trop formellement les scrupules de la conscience à la passion de l’étude. Raphaël, en pénétrant à l’insu de Michel-Ange dans la chapelle Sixtine, était du moins introduit par Bramante, que ses fonctions autorisaient à y entrer, et qui pouvait à la rigueur y amener un de ses amis. Ni l’un ni l’autre n’avait forgé de fausse clef pour ouvrir la porte, et si Michel-Ange les eût surpris