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dans la vie et l’œuvre d’un sculpteur le témoignage le plus significatif des tendances actuelles de l’art italien.


I.

La vie de Bartolini, qui devait être un combat perpétuel contre la médiocrité, l’envie et la routine, commença par d’autres luttes tout aussi difficiles et des souffrances patiemment supportées. Les rades traitemens, l’impossibilité de s’instruire et de travailler selon ses goûts, telles sont les premières épreuves imposées au courage de l’enfant, en attendant la misère et les cruelles anxiétés qu’amèneront les années suivantes. Lorenzo Bartolini naquit en 1777 à Savignano, petit village aux environs de Prato, où fra Bartolommeo avait vu le jour trois cent huit ans auparavant. Son père, Liborio Bartolini, était serrurier-forgeron, et, contrairement à la coutume des plus humbles artisans de son pays, il n’avait pour les arts et les artistes qu’une grossière indifférence. Qu’un des plus grands peintres de la fin du XVe siècle fût né à quelques pas de sa chaumière, ou que le fils qui lui était donné annonçât pour le dessin une rare aptitude, le tout ne lui importait guère, ou plutôt il ne remarquait cette vocation précoce que pour s’en irriter et la maudire. On pense bien qu’un tel homme n’était pas d’humeur à s’en tenir aux injures et que son mécontentement se traduisait souvent par des brutalités d’autre sorte. Le pauvre Lorenzo, outrageusement battu, n’en persévérait pas moins dans sa volonté de devenir artiste, et recommençait, au risque d’être châtié de nouveau, à laisser là marteau et enclume pour le crayon qu’il s’essayait à manier.

Au bout de quelques années, Liborio Bartolini vint s’établir à Florence avec son fils. Un pareil séjour n’était pas propre à modifier les déterminations de celui-ci et à lui inspirer plus de goût pour l’apprentissage qu’on lui imposait. Si la seule force de ses instincts l’avait poussé à la résistance lorsqu’il vivait à Savignano loin de tout encouragement et de tout exemple, à coup sûr le spectacle des chefs-d’œuvre réunis à Florence ne pouvait que stimuler encore son zèle et accroître son ambition . Aussi tout se passa-t-il entre le père et le fils conformément aux circonstances : redoublement de colère d’un côté, de l’autre aversion plus prononcée que jamais pour le métier et résolution bien arrêtée d’y renoncer au premier jour. Ce jour ne tarda pas à venir. À la suite de châtimens plus violens que de coutume, Lorenzo s’enfuit auprès d’un de ses oncles à Savignano, et ne rentra sous le toit paternel qu’après avoir obtenu la permission de suivre les cours de l’académie de Florence. Moitié de guerre lasse, moitié par déférence aux conseils de ses amis, Liborio Bartolini