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pour l’accomplissement de notre tâche, de nos propres souvenirs, des intéressans opuscules qu’ont publiés assez récemment MM. Bonaini, Rossi, quelques autres écrivains encore, et surtout de docuraens inédits recueillis par la main pieuse d’un ami de Bartolini.

Et d’abord faut-il s’étonner que le seul homme qui ait continué de nos jours la gloire de l’art italien, — je ne parle, bien entendu, ni des musiciens ni des poètes, — faut-il s’étonner que ce seul maître, dans le sens exact du mot, soit non pas un peintre, mais un sculpteur? Les conditions différentes où se trouvent en Italie la peinture et la statuaire, conditions particulièrement favorables à celle-ci, peuvent jusqu’à un certain point expliquer le fait. Pour nous Français, la sculpture est un art en dehors des mœurs et des besoins actuels, un luxe tout exceptionnel, ou même contrariant l’instinct qui nous pousse vers un certain beau familier. Aussi ne lui prêtons-nous un reste d’attention qu’autant qu’elle se réduit aux proportions d’une industrie frivole. Les statuettes et les petits groupes d’animaux réalisent un idéal à notre portée, le seul qui ait encore le pouvoir de nous séduire, et nous oublions de grand cœur, en face de ces humbles produits, des travaux plus conformes aux sévères lois de la statuaire. Il en est autrement à Florence ou à Rome. Là du moins une statue, un bas-relief réussissent encore à passionner la foule, quelquefois il est vrai assez mal à propos et sans grand profit pour le goût; mais ce goût, malgré ses déviations, n’en existe pas moins, plus vif et plus sincère qu’ailleurs. Faute de mieux, il se portera volontiers sur des objets d’une beauté suspecte, ou même tout à fait indignes : vienne un chef-d’œuvre, personne n’attendra pour l’admirer que les experts en aient défini le sens et le mérite. Chacun aura senti tout d’abord et apprécié par pur instinct, chacun aura aimé en un mot ce que nous hésiterions peut-être à regarder, ce que nous respecterions tout au plus sur la foi des hommes du métier.

La certitude d’être compris ou même d’être étudié est un stimulant qui manque aux sculpteurs français; les sculpteurs italiens au contraire sont sûrs de n’avoir affaire ni à des juges défavorablement prévenus, ni à des esprits indifférons. Quoi de plus naturel après tout? Des gens qui ne sauraient traverser une rue, se promener sur une place ou entrer dans une église sans rencontrer à chaque pas des chefs-d’œuvre de toutes les époques reçoivent presque à leur insu l’éducation la plus profitable. Pour les artistes de profession l’avantage semble plus considérable encore. Les peintres, comme les statuaires, ont perpétuellement sous les yeux d’admirables monumens de l’art, et les grands exemples ne leur font certes pas défaut : d’où vient donc qu’ils tirent pour la plupart un si chétif parti de ces leçons? Leur étrange obstination à chercher loin de chez