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développer les richesses, celle de préparer aussi une modification reconnue indispensable dans le régime créé par Mahomet en vue d’une tâche aujourd’hui incompatible avec les intérêts et la civilisation du monde.

Le territoire ottoman appelle par l’abondance, par la diversité de ses ressources, les plus larges applications du travail agricole. J’ajouterai que ce sol dans lequel germent toutes les semences, depuis celles des arbres immenses jusqu’à celles de la fleur des prés, qui nourrit d’innombrables et de précieux troupeaux, ce sol n’est pas moins riche en produits minéralogiques. Chaque vallée, chaque montagne possède des filons de cuivre, de fer, de plomb et même d’argent. Tel ruisseau charrie de la poussière d’argent que les habitans des villages voisins connaissent fort bien, mais qu’ils ne songent pas à recueillir. Ce pays possède donc tous les élémens nécessaires pour devenir le plus riche, comme il est déjà le plus beau peut-être des états du vieux monde. Nul doute qu’il ne puisse offrir aux puissances européennes qui le défendent aujourd’hui l’équivalent des services qu’il en reçoit.

Reste une autre œuvre, qui ne dépend plus seulement de l’Europe, mais des Ottomans eux-mêmes.

S’il est vrai que la constitution de l’islamisme, qui a formé de si intrépides soldats, ait été fatale au développement de la vie civile, s’il est vrai en outre que les théocraties répugnent à toute pensée de progrès et de changement, et si pourtant une transformation au moins partielle est aujourd’hui nécessaire au salut du pays, que faudra-t-il en conclure? Se résoudra-t-on à l’abandon de la forme et des principes théocratiques du gouvernement? La chose serait impraticable à cette heure. Lors même que les chefs de ce gouvernement auraient l’héroïque courage de renier le dogme qui leur assure une autorité sans limites, le peuple, sincèrement et profondément attaché à ses croyances religieuses, n’accepterait pas ce sacrifice. Il existe un moyen terme entre abandonner complètement un système et le pratiquer dans toute sa rigueur. Ce terme moyen s’appelle réforme, mot odieux pour l’ordinaire aux membres des théocraties, mais qui dans ce cas spécial a déjà été prononcé bien des fois par les hommes les plus illustrer de la Turquie. Il est vrai que la faveur populaire ne s’est pas attachée à ce mot, ni aux choses qu’il annonce et qu’il exprime. La raison en est évidente à mes yeux. Quoique sages et tendant à abaisser la barrière élevée par l’islamisme entre l’Europe chrétienne et l’Asie musulmane, les réformes introduites jusqu’ici dans la constitution de l’empire ottoman ne pouvaient apporter aucun soulagement immédiat aux souffrances des Osmanlis; elles avaient d’ailleurs pour but la destruction des entraves auxquelles les sujets chrétiens