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choisis par Dieu pour connaître la vérité, et la preuve en est que je suis au milieu d’eux. Méprisez les autres nations, regardez-les avec horreur et dégoût. Qu’importe que vos vêtemens soient souillés de poussière, que vos habitations soient ouvertes à tous les vents? Qu’importe que les peuples de l’Occident prennent soin de leur costume et parent leur demeure? Ils sont impurs. En vous seuls est toute pureté. » Des témoignages trop persistans montrent assez quelle influence exerça ce raisonnement sur les populations musulmanes.

Je ne dirai qu’un mot de la doctrine du Koran sur la vie future, sur le paradis. On a dit que les femmes en étaient exclues, et que le don d’une âme immortelle leur était refusé. Il n’est pas question d’elles, en effet, dans la description de ce lieu de délices, où d’immortelles houris rendent leur présence superflue. Ce que je crois sincèrement, c’est que le silence de Mahomet relativement à l’admission des femmes dans le paradis équivaut, dans la pensée du législateur, à une exclusion complète.

En retour de ces promesses et de la liberté de conduite presque absolue accordée par les institutions, que demandait Mahomet à ses fidèles? Trois choses : obéir, combattre et mourir. On sait si le pacte conclu entre le chef et son peuple fut religieusement exécuté. Un moment, ce rude et audacieux génie put croire que son rêve était accompli; le héros oriental avait voulu créer une nation de héros, et d’éclatans résultats commencèrent par couronner une téméraire entreprise. En lisant les récits de la marche victorieuse des Turcs et des Arabes à travers l’Asie-Mineure, la Grèce et l’Europe orientale d’une part, l’Afrique, l’Espagne, la France méridionale et l’Italie de l’autre, on se demande si c’étaient bien là des hommes accessibles aux faiblesses et aux affections humaines, ou une race d’êtres supérieurs créée pour d’inexplicables succès. Aussi l’Europe fut-elle frappée de surprise, et une série d’étranges catastrophes vint l’effrayer. La cité de David et celle de Constantin virent flotter sur leurs remparts l’étendard infidèle. L’Espagne obéit à des hordes invincibles venues de Tunis; la Méditerranée fut un lac d’Asie; puis, quand l’Europe engagea décidément la lutte, l’œuvre des croisades ne put s’accomplir qu’après plusieurs siècles d’expéditions sanglantes, et même, au terme de cette lutte, l’Orient presque tout entier resta le domaine de la théocratie musulmane.

On voit maintenant quel était le caractère de cette théocratie. Essentiellement liée à une œuvre militaire, elle pouvait grandir dans la guerre, mais elle avait tout à craindre de la paix. Nous savons ce que la guerre fit des musulmans; plaçons-nous dans l’empire ottoman tel qu’il était avant la dernière crise, et nous verrons ce qu’en a fait la paix.