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de Samarie. De quel côté est la vraie tradition? C’est ce qu’il me fallut renoncer à découvrir.

La journée du lendemain devait s’achever à Jérusalem. Pendant notre marche vers la ville sainte, nous rencontrâmes plusieurs Arabes revenant d’une fête qui était, me dit-on, la pâque musulmane. Pour la première fois, je pus observer des témoignages non équivoques de la haine des musulmans contre les chrétiens. Les hommes que nous rencontrions nous poursuivaient d’injures et de malédictions grossières. Je fus au moment de perdre patience et de demander compte à ces farouches pèlerins de leur conduite peu courtoise. Heureusement j’avais mis ce jour-là dans l’arçon de ma selle un volume de Don Quichotte, et il ne me fallut, pour recouvrer le calme, que jeter les yeux sur l’ironique roman de Cervantes. Plus tard, à Jérusalem, je reconnus qu’un air de franchise et quelques plaisanteries maintiennent aisément les bonnes relations entre le chrétien et l’Arabe le plus fanatique. Il faut bien se garder de montrer à ce dernier crainte ou colère, ce sont pour lui des signes de faiblesse, et l’Arabe est dès lors sans pitié. Miss Harriett Martineau attribue à son costume le mauvais accueil qu’elle recevait souvent chez les Orientaux. La malveillance dont elle se plaint attend tous les chrétiens qui, au milieu des populations musulmanes, n’apportent pas une forte dose de tact et de bonne volonté.

Au moment où je faisais ces réflexions, la journée tirait à sa fin. Depuis quelque temps déjà, je remarquais que les villages situés sur les montagnes étaient plus nombreux, et que les groupes de voyageurs allant et venant se multipliaient autour de moi. Le soleil allait se coucher derrière les montagnes voisines de la mer, lorsque j’aperçus mes deux guides, immobiles et la tête découverte, au haut d’un plateau qui s’élevait à quelques pas de moi. Je courus les rejoindre. Ce que mes guides venaient de découvrir, c’étaient les murs crénelés de Jérusalem couronnant une colline qui faisait face au plateau. Au-delà de ces murs, une ligne bleuâtre, se confondant avec l’horizon, indiquait la mer de Galilée. Je donnai un moment à la contemplation de ce grand spectacle. Un tumulte étrange se faisait en moi; je sentais ma gorge se contracter et mes yeux se remplir de larmes, comme si j’avais retrouvé une patrie plus ancienne que celle d’où j’étais exilée. Chose étrange, cette sensation de bien-être et de joie profonde ne me quitta pas pendant mon séjour à Jérusalem. Cette arrivée dans une ville inconnue avait pour moi tout le charme d’un retour.

Quelques minutes de bon galop nous conduisirent sous les murs de Jérusalem et devant la porte de Damas. Non loin de cette porte s’élève la maison que les franciscains tiennent à la disposition des