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chevaux s’enfonçaient jusqu’au-dessus de la cheville dans un sable brûlant. Sur notre gauche, au lieu du Liban couronné de villages, nous avions les arides montagnes de la Galilée. Après quelques heures de marche, nous atteignîmes une sorte d’oasis formée par quelques buissons au travers desquels serpentait un mince filet d’eau. Nous crûmes prudent de faire halte et d’attendre patiemment à l’ombre des broussailles que le soleil fût sur son déclin. Nous eûmes à nous repentir cruellement de cette résolution. Lorsque nous voulûmes nous remettre en marche, il se trouva qu’une étrange maladie avait frappé nos chevaux. La plupart de nos montures, qui avaient paru jusque-là jouir d’une excellente santé, ne se traînaient plus qu’avec une lenteur extraordinaire. Baignées de sueur, l’œil terne et la peau froide, ces pauvres bêtes semblaient toucher à l’agonie. Nous prîmes alors le parti d’envoyer en avant les plus malades, sous la surveillance d’un de nos gens, brave Allemand du duché de Bade, très dévot et très honnête à ce qu’il nous semblait ; puis, pensant que les autres chevaux rejoindraient toujours facilement notre avant-garde, nous leur donnâmes quelques instans de repos. Cette nouvelle halte ne fut malheureusement pas moins fatale que la première. À peine nous étions-nous remis en marche, qu’un de nos chevaux, d’une bonne race d’Anatolie, s’arrêta en gémissant ; le cavalier qui le montait mit pied à terre et se résigna à nous suivre lentement en le traînant par la bride. Un autre cheval donna bientôt les mêmes signes d’épuisement, et quelques pas plus loin nous rencontrâmes notre Badois qui nous attendait à côté d’un cheval turcoman étendu sur le sol et près d’expirer. Cet homme avait manqué de patience, il nous l’avoua plus tard, et pour combattre l’affaissement du cheval, il avait eu recours à un moyen peu charitable, celui de le chasser devant lui en le rouant de coups.

Nous continuâmes tant bien que mal notre marche au milieu des gémissemens de nos chevaux et des jurons des cavaliers ; mais nous eûmes beau faire, le soleil se coucha sans que nous eussions pu atteindre un village désigné pour notre halte de nuit, et dont nous croyions avoir parfaitement retenu le nom. Pour éviter le retour des accidens de la journée, j’étais décidée à ne plus m’arrêter avant d’avoir atteint notre gîte. Je poussai donc en avant malgré l’obscurité, m’en rapportant aux indications du drogman et croyant me trouver sur la route du village. Tout à coup je m’aperçus que dans ma précipitation j’avais laissé derrière moi presque toute mon escorte. Je ne voyais plus à mes côtés que ma fille Marie, le drogman et deux domestiques. Ceux-ci me rassurèrent sur le sort de mes compagnons, qui nous suivaient, disaient-ils, en faisant de leur mieux pour entretenir le courage de leurs montures. Je pressai alors de