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nécessaires, et nous nous dirigeâmes d’après son avis, non vers Jaffa, mais vers Nazareth, d’où un jour ou deux de marche devaient nous conduire à Jérusalem.

Le reste de cette journée si agréablement commencée se passa sans accident; elle s’acheva, après une marche assez longue, dans une hôtellerie de Sur (l’ancienne Tyr). Le maître de l’établissement était une espèce de métis, demi-européen, demi-asiatique, dont l’air triste et abattu nous promettait maigre chère, promesse qui ne fut que trop bien tenue. Faut-il croire que l’ancienne Tyr a existé là où s’élèvent aujourd’hui les humbles maisons de Sur? S’il en est ainsi, jamais grande et puissante ville n’a disparu aussi complètement sous d’affreux plâtras. Quoi ! pas un fût de colonne ! pas une arcade! pas un pavé! Palmyre, Balbek, Ninive, ont laissé des vestiges de ruines précieuses. Où sont les ruines de Tyr? La mer a sans doute englouti la capitale tout entière du roi Hiram. Quant à Sur, c’est une laide petite ville sans caractère ni originalité, bâtie dans une plaine où le soleil de Syrie ne laisse croître aucune végétation.

La journée du lendemain fut une des plus tristes de notre voyage. A peine le soleil avait-il paru au-dessus des montagnes de Galilée, que nous étions en route, heureux de quitter notre triste hôtellerie de Sur. Le chemin que nous devions suivre le long de la mer n’avait cependant rien d’attrayant; il avait été récemment le théâtre d’une scène sanglante. Un petit bâtiment commandé par un capitaine arabe et frété par des pèlerins grecs, poussé par les vents sur des écueils, était venu échouer près de la côte. Les malheureux pèlerins, parmi lesquels les femmes et les vieillards étaient en majorité, remplirent aussitôt l’air de cris de détresse. Aperçus par une vingtaine de cavaliers qui s’étaient rassemblés sur le rivage, ils furent transportés à terre par le capitaine et les matelots arabes du petit navire; mais à mesure qu’ils débarquaient, ils tombaient sous les coups d’assassins qui les massacraient et s’emparaient de leurs dépouilles. Pas un de ces infortunés n’avait échappé à la mort, et le capitaine arabe était soupçonné d’avoir préparé ce naufrage pour piller les passagers de concert avec les cavaliers de la côte. Le capitaine avait été arrêté, mais il s’était tiré d’affaire en payant une partie du prix du sang. Quant aux cadavres des naufragés, ils étaient restés exposés sur le rivage sans que personne daignât les ensevelir. Tel était du moins le bruit public; nous eûmes le bonheur de ne rencontrer aucun vestige de ce récent massacre. Selon toute apparence, les oiseaux de proie des montagnes voisines avaient déjà achevé leur festin.

L’aspect des lieux que nous traversions n’était guère fait pour me distraire des impressions qu’éveillait en moi le récit du massacre de Sur. Une chaleur accablante pesait sur nous. Les pieds de nos