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communication avec la mer polaire, et que le Groenland est par conséquent une lie complètement isolée et non pas une péninsule, comme on l’avait cru pendant longtemps.

Le canal de Jones, qui s’ouvre à l’ouest de la baie de Baffin, n’est sans doute aussi qu’un détroit, comme ceux de Wellington et de la Reine, et l’on voit que dans leur ensemble la masse des terres situées au nord du long détroit de Barrow, depuis l’île de Melville jusqu’à la baie de Baffin, ne forme qu’un immense archipel[1].

Les principaux objets de ces voyages sont aujourd’hui atteints; le problème du passage du Nord est en effet résolu. Depuis longtemps il n’avait plus qu’un intérêt purement scientifique. Un passage difficile et constamment encombré par des radeaux de glace inextricables ne peut jamais devenir une des grandes routes commerciales du monde, et il faut renoncer à pénétrer dans les eaux du Pacifique en franchissant le labyrinthe polaire. Quant au sort de John Franklin et de ses compagnons, aucun doute ne reste permis. Enfin la géographie de ces contrées est aujourd’hui fixée dans ses détails les plus importans. Sur la plupart des cartes ordinaires, les contours du labyrinthe arctique étaient jusqu’à ce jour à peine ébauchés; on a pu, sur les cartes les plus récentes, les tracer enfin avec exactitude. Que reste-t-il donc à étudier dans les régions polaires? Les physiciens savent aujourd’hui qu’il n’est pas besoin de se rapprocher beaucoup du pôle magnétique, si l’on veut étudier le phénomène des aurores boréales. Pour voir se déployer dans toute leur magnificence ces grandes arches radieuses d’où jaillissent des colonnes de lumière agitée et nuancée des teintes les plus magnifiques, il faut aller dans le nord de l’Europe, en Laponie, en Islande, à Terre-Neuve, au Groenland, dans le Haut-Canada, où Franklin, Richardson, Thieneman, Gieseke, Bravais, Lottin, Wrangel et Anjou firent leurs remarquables observations. L’on connaît aujourd’hui l’explication du mirage et de tous ces jeux de lumière si fréquens dans la zone arctique, halos, couronnes, cercles tangens, parhélies, anthélies, parasélènes. Enfin l’on a peu de choses à

  1. Le capitaine Inglefield avait emmené avec lui le lieutenant français Bellot, qui se rendait pour la seconde fois dans les mers arctiques, et dont la fin fut si malheureuse. Bellot s’était offert volontairement pour porter des dépêches importantes aux environs du cap Bêcher. Parti en traîneau avec quatre hommes seulement, il se trouva séparé de la côte avec deux d’entre eux, sur les glaces qui s’étaient subitement détachées. Il alla le premier reconnaître la fissure qui s’était produite : quand les matelots qui le suivaient et l’avaient perdu de vue derrière des monceaux de glace arrivèrent à leur tour, il avait disparu, et ils ne retrouvèrent que son long bâton ferré avec lequel il avait essayé de franchir la crevasse béante. On pleura en Angleterre comme en France cet homme si jeune, si vaillant, qui, pressé par les seuls besoins de l’activité généreuse qui tourmente les grands cœurs, s’était deux fois offert volontairement à partager les souffrances et les dangers des expéditions arctiques.