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continua sa marche désespérée et perdit encore trois Canadiens. Enfin on aperçut le fort Entreprise. Hélas! il était désert, et on ne put y trouver aucune provision : ainsi toute espérance était perdue au moment même où les infortunés se croyaient sauvés. Après cette fatale découverte, ils se regardèrent les uns les autres, et, sans prononcer une parole, fondirent tous en larmes. Franklin demeura dans le fort avec trois hommes et fit de la soupe avec des os abandonnés dans un tas d’ordures. Deux jours après, il vit arriver Richardson et le matelot anglais Hepburn, qui lui apprirent que l’Iroquois Michel avait assassiné M. Hood. Pour punir l’assassin, le docteur Richardson l’avait tué d’un coup de pistolet. Ainsi le crime même venait mêler ses horreurs à celles de la faim, du froid et de l’abandon. Le 1er novembre, deux Canadiens périrent encore dans le fort. Enfin le 7, quand Franklin essayait déjà de s’habituer à la pensée d’une si horrible fin, arrivèrent des Indiens envoyés par M. Back et chargés de nombreuses provisions. Il faut lire dans la relation du voyage de Franklin le récit simple et émouvant de cette lamentable expédition : on admire ce courage, cette grandeur d’âme, cette douleur qui s’oublie elle-même pour ne songer qu’à celle des autres.

Comment ceux qui ont subi de pareilles tortures peuvent-ils volontairement s’engager dans les mêmes aventures et courir au-devant des mêmes dangers? On est presque effrayé d’un tel mépris de la vie et de l’audace de ces défis répétés de l’homme à la nature. Dès 1825, Franklin retourna dans l’Amérique septentrionale. Il avait ordre d’explorer les côtes de l’Amérique depuis l’embouchure du Mackenzie jusqu’au détroit de Behring; mais il ne put remplir cette mission, et dut revenir sans avoir obtenu de résultats. C’est à son retour qu’il épousa sa seconde femme, Jane Griffin, devenue, sous le nom de lady Franklin, célèbre par les infatigables efforts qu’elle tenta pour retrouver son infortuné mari, perdu dans les mers arctiques. Ce n’est qu’en 1845 que Franklin partit pour sa troisième expédition arctique, avec l’Érèbe et la Terreur, noms de funeste augure. Son équipage se composait de 138 hommes, et il emmenait avec lui le capitaine Fitz-James et le capitaine Crozier. Les instructions qu’il reçut de l’amirauté lui enjoignirent de chercher à atteindre le détroit de Behring, en prenant dans la direction du nord-ouest à partir du cap Walker, situé à l’extrémité du détroit de Barrow. Dans le cas où. il ne pourrait s’avancer dans cette direction, il devait essayer de passer par le canal de Wellington. Le capitaine Martin, baleinier, le rencontra dans les eaux de Baffin le 20 juin 1845. Franklin lui dit qu’il avait à bord des provisions pour cinq ans, et, si cela devenait nécessaire, qu’il pourrait les faire durer pendant sept ans. Le 26 juin, il rencontra encore le capitaine baleinier Dennett, et depuis on ne reçut plus de lui aucune nouvelle.