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pour un pareil projet, il résolut d’hiverner dans cette mer intérieure pour recommencer ses recherches au printemps; mais comme les provisions s’épuisaient, les matelots se révoltèrent et l’obligèrent au retour. Il y consentit en pleurant. Cependant l’équipage voulait une vengeance : on jeta Hudson dans la chaloupe avec son fils et sept autres matelots restés fidèles à leur maître; le charpentier demanda volontairement à partager son sort. Quand le vaisseau fut sorti des glaces, la corde qui retenait la chaloupe au navire fut coupée, et ces infortunés se trouvèrent abandonnés sur une mer furieuse, sans vivres, sans voiles, sans espérance. Barbarie atroce et inutile, qui excite autant d’étonnement que d’indignation! Cette triste fin, couronnant toute une vie d’audace et de dangers, donne à la figure d’Hudson quelque chose de tragique et de touchant; son nom, pour toujours populaire, est resté attaché au détroit et à la grande baie où il pénétra, et désigne encore l’un des plus beaux fleuves de l’Amérique.

Ce n’est que plus d’un siècle après la mort lamentable de Hendrich Hudson que des découvertes importantes furent faites dans la zone arctique, et, comme les siennes, elle furent signalées par la fatalité et le malheur. En 1741, Pierre le Grand, dont la passion pour la marine est bien connue, envoya Behring explorer les côtes d’Asie. Behring partit d’Ochotsk avec deux vaisseaux et découvrit le célèbre détroit qui sépare l’Amérique de l’Asie. Il aperçut les montagnes du nord-ouest de l’Amérique, traça la ligne de l’archipel des îles Aleutiennes; enfin, toujours battu par de terribles tempêtes, il finit par périr de froid et de fatigue, au milieu des neiges et des glaces, dans une île déserte.

Pendant de longues années, la géographie de la zone glaciale ne fit point de nouveaux progrès : aucune expédition n’y fut envoyée, et le passage du Nord fut presque oublié. Toutes les forces de l’Angleterre étaient absorbées par les impérieuses nécessités des guerres qu’elle soutint à une époque mémorable : il ne pouvait être question de recherches lointaines et de conquêtes pacifiques quand les conquêtes anciennes étaient compromises, et à l’heure suprême où les destinées du monde étaient remises au hasard de la force. Aussitôt cependant que la paix vint mettre un terme à cette longue et opiniâtre lutte d’où l’Angleterre finit par sortir triomphante, l’attention publique fut de nouveau ramenée vers le passage inconnu, et dès les années 1818 et 1819, Ross, Franklin et Parry reprirent le chemin des mers arctiques. Les expéditions se succédèrent depuis cette époque avec tant de rapidité, qu’il serait fatigant de les énumérer par ordre de dates, et qu’il convient peut-être mieux de raconter séparément l’histoire de ces navigateurs modernes dont le nom mérite