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quelque temps que ce détroit séparait les côtes de l’Amérique et de l’Asie, et qu’il allait déboucher dans l’Océan-Indien. Cette illusion, qui témoigne bien de l’état des connaissances géographiques à cette époque, ne fut pas de longue durée : Frobisher fut contraint de revenir et ne rapporta de son voyage que quelques échantillons de terres et de roches. Dans la pensée des hommes de ce siècle, la découverte des métaux précieux était liée intimement à celle même du nouveau continent, qu’ils ne regardaient que comme une mine immense et d’une richesse inépuisable. Les terres rapportées par Frobisher furent examinées par des raffineurs de Londres, qui, peut-être trompés par l’éclat de quelques grains de pyrite, déclarèrent qu’elles contenaient de l’or. Désormais le voyage cessait d’être une déconvenue : ce n’est plus un passage, c’est un nouvel Eldorado qu’il s’agissait de découvrir sous les glaces et les neiges.

Une escadre fut aussitôt formée, et la reine Élisabeth donna un vaisseau de sa propre marine. Frobisher dirigea encore la nouvelle expédition, et ne se laissa point arrêter par les difficultés d’une navigation extrêmement périlleuse dans des mers hérissées de montagnes de glaces. Il ne put néanmoins arriver cette fois aussi loin que dans son premier voyage : on se contenta de débarquer sur les côtes de l’Amérique et de remplir les vaisseaux d’une terre noirâtre ; elle devait, à n’en pas douter, contenir de l’or, car on avait trouvé sur les lieux beaucoup d’araignées. Les araignées passaient à cette époque pour avoir la vertu singulière de marquer la place du précieux métal, et les chercheurs d’or furent pendant des siècles les dupes de cette superstition bizarre, dont rien ne peut révéler l’origine ni le sens.

Dès le retour de l’expédition, et avant même de s’assurer si la terre qu’on avait rapportée remplirait toutes ses promesses, on équipa une nouvelle escadre formée de seize vaisseaux. Il fut résolu qu’on fonderait une importante colonie dans ces régions nouvelles, où l’on foulait l’or sous ses pas. Les fils des plus nobles familles s’embarquèrent comme volontaires : on choisit avec le soin le plus extrême ceux qui devaient former le noyau de cette société privilégiée. Contraste étrange, cette terre promise, cet Eldorado arctique ne devait recevoir que des hommes dont la naissance et l’éducation fussent un gage de leur dévouement à la mère patrie ! L’Australie au contraire, cet Eldorado moderne, ne fut d’abord peuplée que de condamnés et de criminels ! La nouvelle expédition échoua misérablement : les navires coururent les plus grands dangers, et l’un d’eux fut brisé par les glaces ; les autres s’égarèrent et furent plusieurs fois séparés. On finit cependant par aborder dans une île où fut trouvée cette terre noire si ardemment convoitée ; mais les