Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/1184

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se balance jusqu’à ce qu’elle ait atteint son équilibre, elle devient le centre d’ondulations d’abord effrayantes, et qui, se calmant par degrés, continuent quelquefois pendant des heures. Ces géans de glace bloquent les rivages ou sont entraînés au gré des courans jusqu’à ce qu’ils soient entièrement fondus.

C’est dans la baie de Baffin qu’on rencontre les montagnes flot- tantes les plus considérables. Les plus hautes montagnes de glace qu’on ait vues sur les côtes occidentales du Groenland n’avaient que 40 mètres de hauteur; Scoresby dans la mer du Spitzberg, Beechy dans la baie de la Madeleine, en ont aperçu de 70 mètres de haut. Dans la baie de Baffin au contraire, sir John Boss en a mesuré dont la hauteur dépassait 100 mètres et qui avaient plus de 400 mètres de longueur. On se fera une idée véritable des dimensions de tels blocs, qu’on peut bien sans exagération nommer des montagnes, en songeant que la partie qu’on voit au-dessus de l’eau n’est à peu près que le quart de leur masse totale. Encore paraissent-elles quelquefois plus colossales qu’elles ne le sont véritablement, par suite d’une illusion d’optique qui se renouvelle à chaque instant dans les pays arctiques. On en trouve des exemples presque incroyables dans les relations des navigateurs : j’en citerai un entre cent. Une montagne de glace, jugée haute de 100 mètres à l’œil, n’avait en réalité que trente mètres de hauteur, comme le firent voir des mesures trigonométriques exactes. Souvent on aperçoit une montagne que l’on croit assez rapprochée, et l’on se trouve tout découragé quand après une heure de marche pénible sur la glace ses dimensions n’ont pas sensiblement changé. A quoi tiennent ces étranges illusions? Est-ce seulement à l’état toujours variable d’une atmosphère humide et trompeuse? Scoresby les attribue à une augmentation de la distance apparente des objets. Sans doute nos idées de grandeur sont liées aux idées de distance, et nous apercevons sous le même angle visuel des objets de grandeur inégale, parce qu’ils sont inégalement éloignés; mais à quoi tient précisément cette fausse appréciation des distances dans les pays arctiques? On sait d’ailleurs que dans les plaines de l’Egypte la masse colossale des pyramides produit, quand on s’en approche, les mêmes illusions et le même désappointement. C’est sans doute l’isolement des pyramides au milieu des sables du désert, comme celui des montagnes de glace sur la mer ou sur les vastes plaines de neige où elles sont souvent emprisonnées, qui est la cause de ces déceptions. Sur ces immenses surfaces désertes, où tout point de comparaison manque, l’œil ne sait plus mesurer les objets.

La forme des montagnes de glace est extrêmement variable, et l’aspect seul permet de juger jusqu’à un certain point de leur âge et