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radeaux de glace qui encombrent le labyrinthe arctique se fraient péniblement un chemin par les canaux sinueux de ces régions : quand ils débouchent dans la vaste baie de Baffin, ils vont s’accumuler sur les côtes occidentales, sans doute à cause du mouvement de rotation de la terre, et laissent libre un passage étroit et difficile le long du Groenland. À la hauteur du Labrador, ces glaces charriées viennent se mêler à celles qui viennent des côtes de la Sibérie, et elles descendent ensemble vers les zones tempérées. Enfin un troisième courant glacé, d’une importance bien moindre, sort par le détroit de Behring et descend tout le long de la côte du Kamtchatka.

Cependant il ne suffit pas de tracer les routes suivies par les glaces polaires ; il faut en étudier de plus près la formation, les vicissitudes et les effets mécaniques pour donner une juste idée des périls auxquels s’exposent les navires engagés dans ce dédale mobile. Supposons-nous transportés, vers la fin de l’été, dans quelque partie du labyrinthe polaire, à l’entrée, par exemple, du canal de Wellington, si obstinément et si infructueusement exploré dans ces dernières années par les navigateurs envoyés à la recherche de sir John Franklin. Les premières couches de glace mince qui se forment pendant le mois de septembre sont presque aussitôt brisées par le mouvement des vagues et flottent quelque temps en fragmens irréguliers ; on les voit bientôt se réunir peu à peu et se ressouder graduellement les unes aux autres. Cette surface, d’abord très fragile, se consolide rapidement, et les froids deviennent si intenses, que dès le mois d’octobre elle a déjà près de deux pieds d’épaisseur ; la glace, autrefois granulaire et spongieuse, a acquis la ténacité et la dureté du roc. Il ne tombe point de neige jusqu’au mois de novembre : à cette époque, une fine et blanche poussière commence à tourbillonner dans le ciel et à recouvrir la grande plaine de glace. C’est vers le mois de décembre, quand ces masses solides ont atteint plusieurs pieds d’épaisseur et pris leur plus haut degré de consistance, que se déploient, dans toute leur grandeur, ces actions dynamiques qui font courir aux navires un perpétuel danger. Heureux ceux qui sont à l’abri dans quelque profonde anfractuosité de la côte, ou même emprisonnés au milieu d’une des vastes plaines de glace ! quand ils sont engagés dans les canaux étroits qui séparent ces grandes îles mouvantes, ou le long de la ceinture étroite de glaces immobiles qui bordent les rivages, leur position est vraiment effrayante. On comprend à peine que le vaisseau le plus solidement construit puisse résister à la pression de ces masses gigantesques, d’une étendue souvent immense et épaisses de plusieurs pieds, quand leurs longues marges viennent à se heurter. Il est difficile de se faire une idée de la puissance d’un semblable