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d’air qui les produisent sont dans l’état d’équilibre le plus instable, puisque les plus légères sont au-dessous des plus pesantes : le moindre mouvement qui se propage, le plus léger changement de température, ont pour effet d’abaisser, d’élever, souvent même d’incliner ces sortes de miroirs aériens : tantôt les images se confondent en partie avec les objets et les recouvrent, tantôt elles s’en séparent ; tout est déformé, en largeur comme en hauteur. Souvent une deuxième image redressée s’élève par-dessus la première, parfois même on en voit encore une troisième affaiblie et de nouveau renversée.

Les conditions les plus favorables à ce phénomène du mirage se réalisent au plus haut degré dans les zones glaciales. Au refroidissement excessif et continu de l’hiver succèdent en effet les longues ardeurs d’un soleil qui ne descend pas au-dessous de l’horizon. Il devient souvent complètement impossible aux navigateurs de se rendre compte, à une certaine distance, de la véritable configuration des côtes, et ils se trouvent ainsi privés d’un moyen de reconnaissance très précieux. Quelquefois le mirage a été cause des erreurs les plus graves : c’est ainsi que sir John Ross annonça, en revenant de son premier voyage, en 1818, qu’il avait trouvé le détroit de Lancastre fermé à l’horizon par une chaîne de montagnes, et qu’il fallait renoncer à l’espérance du fameux passage du nord-ouest. Ce fut sans doute un effet de mirage qui causa cette illusion, qui, plus tard reconnue, fut pour un temps fatale à la réputation de celui qui en avait été la victime.

Si le mirage est pour les navigateurs arctiques l’origine de beaucoup de mécomptes en les enveloppant de mille apparences trompeuses, il est aussi pour eux la source des plus vives impressions. Dans toutes leurs relations de voyage, on sent percer une admiration mêlée d’étonnement en présence de ces jeux admirables de la nature, à qui il suffit de mouvoir les couches invisibles de l’air pour créer des horizons nouveaux et suspendre un monde fantastique aux bornes du monde véritable. Qui de nous n’a jamais, dans les lignes arrondies ou les contours bizarres des nuages, cherché à construire des formes ou à saisir de lointaines ressemblances ? Surtout quand la mer est recouverte au loin de ces montagnes de glace flottante, voyageurs lents et gigantesques qui se promènent au gré de courans souterrains, les horizons arctiques donnent comme une réalité vivante à ces rêves et à ces fantaisies de l’imagination. Tantôt on croit apercevoir les ruines amoncelées d’une cité de géans ; l’œil reconnaît çà et là, dans le vague du lointain, des colonnes encore debout sur des piédestaux irisés, des portiques gigantesques, des aiguilles blanches pareilles à des obélisques, qui dressent leur ligne aiguë dans le ciel et appuient leur pointe contre d’autres obélisques renversés. Parfois