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pourrait aussi sûrement que lui mener à bonne fin cette difficile entreprise. Hommes et chevaux, il saurait tout concevoir et tout rendre avec un égal bonheur. Lui confier un pareil travail ne serait pas seulement un acte de justice, une récompense accordée à ses études persévérantes : le public aurait la certitude de posséder dans un avenir prochain une composition de premier ordre.

Un grand seigneur qui a su mettre ses loisirs à profit, qui connaît l’histoire de l’art grec, M. le duc de Luynes, s’est passé une fantaisie d’érudit millionnaire : il a demandé à M. Simart une réduction de la Minerve du Parthénon. D’après quels documens cette réduction est-elle conçue? Les monumens figurés font défaut, ou du moins nous ne possédons que des pierres gravées, dont le témoignage ne suffirait pas pour guider le statuaire; mais nous avons les descriptions laissées par Plutarque et par Pausanias, et c’est d’après ces descriptions, contrôlées par les pierres gravées, que M. Simart a entrepris de restituer la Minerve de Phidias. Je dis restituer, quoiqu’il s’agisse tout simplement d’une réduction, car l’œuvre exposée au palais des Beaux-Arts n’est guère que le douzième de l’original. Peut-être M. le duc de Luynes eût-il agi plus sagement en demandant à M. Simart une conception personnelle et indépendante de l’érudition. Cependant je n’oserais le blâmer. De telles fantaisies révèlent un goût trop élevé pour n’être pas accueillies avec sympathie. Il ne faut pas décourager les grands seigneurs qui emploient une partie de leurs revenus à ressusciter l’antiquité. Un tel passe-temps vaut mieux, à coup sûr, que les courses d’Ascot ou de Chantilly. Toutefois l’œuvre de M. Simart, ou plutôt la fantaisie de M. de Luynes, soulève une objection grave. Étant donné la conception de Phidias telle que nous la trouvons dans Plutarque et dans Pausanias, est-il permis, est-il sensé d’en changer les proportions? N’est-ce pas s’exposer de gaieté de cœur à la dénaturer, en modifiant l’effet prévu et voulu par l’auteur? La Minerve de Phidias était une figure polychrome. Les parties nues étaient sculptées dans l’ivoire; les draperies, le bouclier et la Victoire que la déesse tenait dans sa main droite étaient sculptés dans l’or. Or cette alliance de l’or et de l’ivoire, qui, au dire de Plutarque et de Pausanias, produisait un effet merveilleux dans une figure de soixante pieds, peut-elle se réaliser avec un égal bonheur dans une figure de cinq pieds? Je ne le crois pas, et les hommes du métier sont du même avis. Qu’on me permette une comparaison tirée d’un art qui n’a rien à démêler avec la statuaire, mais où l’on a tenté l’accomplissement d’une fantaisie de même nature en sens inverse. Beethoven a écrit un admirable septuor. Un jour on imagina d’en décupler toutes les parties. Je dois avouer qu’il s’est trouvé, qu’il se trouve encore au Conservatoire de Paris des