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mais la traiter comme une conception sans portée, c’est une injustice évidente. Les documens qu’il a consultés sont à la disposition du premier venu; pourquoi donc l’histoire de la civilisation n’a-t-elle pas encore trouvé parmi les peintres un narrateur aussi fidèle? Il y a là quelque chose qui ne peut s’expliquer que par l’élévation et l’étendue des facultés de l’auteur.

M. Barye n’est représenté à l’exposition que par son Jaguar dévorant un lièvre. Je le regrette d’autant plus qu’il eût été curieux de comparer le talent de cet artiste éminent à celui de Landseer, toute réserve faite pour la différence des lois qui régissent la peinture et la statuaire. Ce jaguar est une des œuvres les plus importantes et les plus exquises qui soient sorties de la main de l’auteur; cependant il ne donne qu’une idée incomplète de ce qu’il peut faire. Sans parler du Lupithe combattant un centaure, qui se trouve maintenant au musée du Puy, sans parler des deux lions placés aux Tuileries, au bas de la terrasse du bord de l’eau, l’administration avait sous la main les modèles de quatre groupes destinés à la décoration des pavillons commencés par M. Visconti et terminés par M. Lefuel. Ces quatre groupes sont de véritables chefs-d’œuvre, et nous aurions été heureux de les voir au palais des Beaux-Arts. Parmi les quatre sujets proposés à M. Barye, il y en avait deux au moins qui ne semblaient pas se prêter à la statuaire, l’Ordre et la Force. La Paix et la Guerre convenaient mieux au travail de l’ébauchoir. M. Barye a trouvé moyen de traiter ces quatre données sous une forme excellente. Pour l’Ordre, il a composé un groupe où se montre toute la souplesse de son talent : un homme adulte, un tigre et un enfant; pour la Force, un homme, un enfant et un lion. Chacune des trois figures est modelée avec une science profonde, et prouve que l’auteur n’a pas borné ses études à l’imitation des animaux. Cette opinion, accréditée dans la foule, est complètement démentie par les deux groupes que je viens de mentionner. La Paix et la Guerre, sans révéler des qualités supérieures, obtiendront cependant un succès plus populaire, grâce à la nature du sujet. Un laboureur, un bœuf, un enfant qui joue de la flûte, un guerrier l’épée à la main, un cheval, un enfant qui sonne de la trompette composent les deux derniers groupes. Depuis longtemps la sculpture française n’avait rien produit d’aussi parfait. Conception claire, exécution savante, pureté de goût dans le choix des détails, rien ne manque à ces quatre groupes, qui sont classés par les connaisseurs au nombre des œuvres tout à la fois les plus viriles et les plus gracieuses de l’école française. Le talent de M. Barye se prête admirablement à la sculpture monumentale, et j’ai peine à comprendre qu’il n’ait pas encore été désigné pour le couronnement de l’arc de l’Étoile, car personne ne