Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/1165

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par un grand nombre de spectateurs, les cartons de M. Paul Chenavard. Je sais toutes les objections que soulève cette série de compositions, je n’ignore pas les reproches adressés à l’auteur de cette histoire universelle; parmi ces reproches, il en est plus d’un qui me semble mérité : cependant cet ensemble de pensées m’inspire une estime sérieuse. Quelques défauts que l’on signale dans l’exécution des figures, on est bien obligé d’avouer que ce n’est pas là l’œuvre d’un esprit vulgaire. Ces cartons pourraient-ils se transcrire sur les murailles d’un palais sans que l’auteur y changeât rien? Je ne le pense pas. Ne serait-il pas forcé de consulter le modèle vivant avant d’achever avec le pinceau ce qu’il a tracé avec le fusain? Je ne crois pas qu’il y ait deux avis sur cette question, et l’auteur se rendrait sans peine à l’évidence. Il comprendrait la nécessité de donner à sa pensée une forme plus précise et plus pure. A cet égard, il n’a pas besoin de conseils; il en sait là-dessus tout autant que les plus difficiles; il connaît depuis longtemps les œuvres les plus savantes, et les défauts que l’on signale dans ses cartons n’ont point échappé à son regard. S’il pouvait voir s’accomplir son premier dessein, je ne doute pas qu’il n’acceptât franchement et sans résistance les conditions nouvelles qui lui seraient faites par la substitution de la couleur au fusain.

On a dit que dans ce travail immense la mémoire jouait un rôle plus actif que l’invention : je ne crois pas que cette accusation soit parfaitement justifiée. Sans doute M. Paul Chenavard a mis à profit avec un soin assidu tous les documens que pouvait lui offrir l’histoire de la peinture, mais il y a dans ses cartons quelque chose de plus qu’une mémoire fidèle. S’il eût été dépourvu d’imagination, il n’aurait jamais réussi à combiner ses souvenirs aussi heureusement qu’il l’a fait. Ayant à retracer le développement de la civilisation depuis les premiers temps historiques jusqu’à nos jours, il ne pouvait éviter de rappeler en plus d’un point les compositions inspirées par les sujets qu’il voulait traiter. Il n’y avait pas moyen d’éluder ce danger. Il fallait consentir aux coïncidences pour ne pas se jeter dans la bizarrerie. Or je ne crains pas d’être démenti en affirmant que M. Paul Chenavard a trouvé moyen d’être nouveau en développant des thèmes déjà développés plusieurs fois, et qu’il n’a jamais imité servilement les œuvres qu’il avait consultées. Les peintres qui passent leur vie à copier un bouquet d’arbres, une grappe de raisin, aimeraient à voir dédaigner ces cartons comme un pur exercice de mémoire. Ils trouvent que la nature n’y tient pas assez de place. Il ne faut pas leur donner ce plaisir. Sans doute l’œuvre de M. Paul Chenavard n’est pas aujourd’hui ce qu’elle pourrait devenir, ce qu’elle deviendrait sans doute, si elle retrouvait sa destination primitive;