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Rousseau ne soit allé trop loin dans la voie nouvelle qu’il a choisie, et qu’il n’accorde maintenant trop d’importance aux détails. On dirait parfois qu’il veut lutter avec le daguerréotype. Toutefois ses tableaux de cette année signalent un progrès éclatant.

M. Français avait déjà montré la grâce et la finesse de son talent dans un grand nombre de petites compositions. Il a voulu nous prouver qu’il pouvait sans danger choisir un cadre plus étendu, et l’épreuve lui a réussi. Un sentier dans les blés marque sa place parmi les plus habiles, et je me plais à louer dans ce tableau un accent de vérité qui frappe tous les esprits attentifs.

Il est fâcheux que M. Jules Dupré ait suivi l’exemple de MM. Paul Delaroche et Ary Scheffer et se soit abstenu. Il eût été curieux d’étudier les métamorphoses de son talent et de compter les efforts auxquels il s’est résolu pour donner à sa pensée une forme précise. Plus d’une fois il lui est arrivé de dépasser le but; en essayant d’exprimer sa volonté avec une netteté inconnue aux paysagistes de son temps, il a rencontré la sécheresse et la dureté. Cependant, malgré ses méprises, il mérite l’attention la plus bienveillante. C’est un homme d’une rare persévérance, qui n’est jamais satisfait de son œuvre, et la série complète de ses tableaux eût été pour la foule et pour les hommes du métier une étude intéressante.

M. Corot ne s’est pas abstenu, mais il n’a pas pris la peine de réunir les toiles qu’il avait exposées depuis vingt ans, et vraiment c’est grand dommage. C’est une des imaginations les plus fraîches, les plus riantes de l’âge présent. Son Joueur de flûte avait ravi tous les regards par la naïveté de la composition, et j’aurais aimé à le revoir. Les toiles qu’il a envoyées cette année ne permettent pas d’apprécier l’ensemble de ses travaux. Cependant il y a dans son Souvenir d’Italie une grâce charmante qu’il n’a jamais dépassée. N’eût-il signé que cet ouvrage, nous pourrions le classer parmi les talens les plus ingénieux de l’école française. M. Corot vaut mieux que sa réputation. Estimé des praticiens, qui connaissent les difficultés de la peinture, il n’a pas obtenu la popularité que son talent semblait lui assurer. Il ne faut pourtant pas accuser la foule d’injustice, car si M. Corot est excellent dans le domaine de l’invention, ses admirateurs les plus fervens sont obligés de confesser qu’il exécute avec une certaine gaucherie ce qu’il a si parfaitement conçu. Sa main n’obéit pas à sa fantaisie. Figures, arbres et terrains, tout dans ses œuvres est plutôt indiqué que rendu. Les spectateurs capables de compléter par eux-mêmes ces magnifiques ébauches lui tiennent compte du plaisir qu’ils ont éprouvé en les regardant. Quant à la foule, qui n’a pas sondé les secrets de l’art, on ne saurait condamner son indifférence pour M. Corot. Avec une imagination moins riche et