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de finesse, ne sont pas rendues avec la précision que nous avons le droit de souhaiter. Parlons sans détour : elles sont ébauchées, et l’œil le plus complaisant ne saurait les accepter comme terminées. Que M. Hamon y prenne garde ! Ses débuts ont été accueillis avec une légitime sympathie ; mais le succès oblige, et il ne paraît pas s’en être souvenu. Il se conduit en véritable enfant gâté, et le public pourrait bien lui rappeler qu’il n’est plus dans l’âge où tout se pardonne. Si l’auteur de la Comédie humaine veut conserver la faveur de la foule, il fera bien d’exécuter avec plus de soin ce qu’il conçoit si heureusement, et de traiter avec moins de dédain la partie matérielle de son art. Le terrain sur lequel l’Amour fouette son troupeau n’est pas en perspective, et le mépris de cette condition élémentaire ne permet pas de comprendre la position des figures. Nous verrions avec regret un talent si fin et si délicat persévérer dans le dédain de l’exécution, car il n’y a pas d’œuvre qui puisse durer sans la pureté de la forme.

De tous les genres de peinture, le plus florissant aujourd’hui est à coup sûr le paysage. C’est celui que le public encourage avec le plus d’empressement. Je ne veux pas en rabaisser l’importance. Quand le paysage s’élève à la hauteur de Claude Gelée ou de Ruysdaël, il se place d’emblée à côté des œuvres les plus sérieuses ; mais jusqu’à présent nous n’avons encore retrouvé ni Ruysdaël ni Claude Gelée, et le nombre des hommes de talent qui se consacrent au paysage marque dans le goût public un affaiblissement réel. Dans ce genre en effet, et surtout dans ce genre tel qu’il est aujourd’hui conçu, la pensée ne joue pas un rôle aussi important que dans la peinture de figures ; souvent même son rôle s’efface complètement. Je ne voudrais pas médire du genre et rappeler l’opinion des Toscans : le vrai peintre, à l’heure du travail, peint la figure, et le paysage à ses momens perdus, dans ses heures d’oisiveté. Ce serait exagérer une pensée vraie. Cependant Titien et Rembrandt donnent raison aux Toscans. Quand ils ont voulu peindre le paysage, ils ont prouvé sans effort qu’ils en savaient autant que les praticiens les plus habiles dans ce domaine spécial. Ce qui me paraît dangereux dans la prédilection du public français pour le paysage, c’est que la faveur attachée à ce genre de peinture égare la pensée de la foule, et lui fait croire que la fidélité de l’imitation est le dernier mot de l’art. Pourtant ce serait bouder contre notre plaisir que de ne pas louer ; MM. Troyon, Paul Huet, Théodore Rousseau et Français, qui nous ont donné des tableaux charmans. Dans leurs compositions, si la pensée ne tient pas une grande place, la nature est très bien rendue, et l’imitation arrivée à ce point ne saurait être dédaignée. Les Vaches à l’abreuvoir de M. Troyon séduisent tous les spectateurs. Ses