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fleur de nouveauté qui séduit la foule et attire son attention. Parmi les visiteurs du palais des Beaux-Arts, il s’en rencontre plus d’un qui promène un regard distrait sur une toile qui devrait l’arrêter. Demandez-lui pourquoi il passe ; il vous répondra qu’il n’aime pas les vieilleries, et cependant il y a vingt contre un à parier qu’il ne connaît pas ce qu’il dédaigne : il a entendu dire qu’une partie des ouvrages exposés n’est pas nouvelle, et c’est pour un esprit frivole une excuse suffisante. Il est vrai que l’inattention de tels juges ne mérite pas un regret. Cependant il est évident que la partie française de l’exposition n’excite pas la même curiosité, le même empressement que les salons annuels. Ce malheur, si toutefois c’en est un, disparaît devant l’avantage qui nous est offert d’étudier le développement de l’imagination française depuis cinquante ans.

Par malheur plusieurs ont manqué à l’appel, quelques-uns volontairement, d’autres pour des raisons indépendantes de leur volonté. Ainsi MM. Paul Delaroche et Ary Scheffer se sont abstenus parce qu’ils sont en possession d’une renommée solidement établie ou du moins d’une clientèle nombreuse, ce qui pour le monde signifie la même chose. Assurés de placer leurs ouvrages, ils ne veulent pas s’exposer à de nouvelles discussions. Les remettre en question serait profaner l’inviolabilité qu’ils s’attribuent. L’absence est à leurs yeux tout à la fois une mesure de prudence et une mesure de dignité. Je pense que MM. Paul Delaroche et Ary Scheffer se méprennent sur leurs vrais intérêts. Il est dans la destinée de tous les inventeurs de se voir sans cesse remis en question. Vouloir se dérober à la discussion est un mauvais parti. En voulant maintenir leur position, les absens s’exposent à l’oubli. Malgré la vivacité des objections soulevées par ses premiers ouvrages, l’auteur de Jane Grey eût agi sagement en les remettant sous les yeux du public, en y joignant ses ouvrages nouveaux, déjà connus par la gravure, Marie-Antoinette au tribunal révolutionnaire, l’Enfance de Pic de la Mirandole, le Passage du mont Saint-Bernard par le général Bonaparte. M. Delaroche est un homme laborieux et persévérant : il est probable qu’il est devenu plus habile dans le maniement du pinceau ; mais à cet égard nous en sommes réduit aux conjectures, puisque l’auteur nous interdit la vue de ses tableaux. Les amis de M. Ary Scheffer assurent qu’il a terminé récemment une composition chrétienne d’une importance capitale. Je le crois volontiers, car si M. Ary Scheffer a montré dans le style de ses ouvrages une singulière inconstance, s’il a tour à tour imité Eugène Delacroix, Rembrandt, Albert Dürer, il a toujours montré pour la pensée un respect profond, ce qui est un titre sérieux à l’attention et à la sympathie. Comment nous prononcer sur le mérite de cette composition chrétienne ? comment savoir si depuis