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compter parmi ces derniers la plupart des prêtres séculiers et tous les moines. En revanche, la bourgeoisie et une bonne partie de la noblesse étaient fort disposées à aimer la liberté. Trois ou quatre ans plus tôt, avant les horreurs de 1793, toute la Lombardie était enthousiaste des réformes et de la liberté françaises. Le temps commençait à faire oublier les crimes, et depuis deux mois c’était par peur de cette liberté, et eu la maudissant dans chaque proclamation, que le gouvernement de l’archiduc vexait les bons Milanais. Or il faut savoir que les Milanais méprisaient souverainement ce prince, qui n’avait d’autre passion que celle de faire le commerce du blé, et dont les spéculations occasionnaient des disettes.

C’est un peuple ainsi préparé que l’archiduc voulait enflammer pour la maison d’Autriche ! Il est amusant de voir le despotisme malheureux avoir recours à la raison et au sentiment. L’entrée des Français dans Milan fut un jour de fête pour les Milanais comme pour l’armée.

Depuis Montenotte, le peuple lombard hâtait de tous ses vœux les victoires des Français; bientôt il se prit pour eux d’une passion qui dure encore. Bonaparte trouva une garde nationale nombreuse, habillée aux couleurs lombardes, vert, blanc et rouge, et formant la haie sur son passage. Il fut touché de cette preuve de confiance en ses succès. Que fussent devenus ces pauvres gens si l’Autriche eût reconquis la Lombardie? Où M. de Thugut eût-il trouvé des cachots assez profonds pour ceux qui s’étaient habillés, pour les tailleurs, pour les marchands de drap, etc.? Ce qui donna beaucoup d’espoir aux généraux français, c’est que cette belle garde nationale était commandée par l’un des plus grands seigneurs du pays, M. le duc Serbelloni. Les vivats faisaient retentir les airs, les plus jolies femmes étaient aux fenêtres; dès le soir de ce beau jour, l’armée française et le peuple de Milan furent amis.

L’égalité que le despotisme met parmi ses sujets avait rapproché le peuple et la noblesse. D’ailleurs la noblesse italienne vivait bien plus avec le tiers-état que celle de France ou d’Allemagne; elle n’était point séparée des bourgeois par des privilèges odieux, tels que les preuves de noblesse qu’il fallait produire en France pour devenir officier. Il n’y avait point de service militaire à Milan; les Lombards payaient un impôt pour en être exempts. Enfin la noblesse de Milan était fort éclairée. Elle comptait dans son sein les Beccaria, les Verri, les Melzi, et cent autres moins célèbres, mais aussi instruits. Le peuple milanais est naturellement bon, et l’armée en eut une preuve singulière dans ce premier moment : beaucoup de curés de campagne fraternisèrent avec les soldats. Dès le lendemain ils furent sévèrement réprimandés par leurs chefs.

En mai 1796, lors de l’entrée des Français, la population de Milan ne s’élevait guère à plus de cent vingt mille habitans. On avait eu soin de faire savoir aux soldats et ils se répétaient entre eux que cette ville avait été fondée par les Gaulois d’Autun, l’an 880 avant Jésus-Christ, que souvent elle avait été opprimée par les Allemands, et qu’en combattant contre eux pour la liberté, elle avait été détruite trois fois. Le peuple de cette ville était alors le plus doux de toute l’Italie. Les bons Milanais, occupés à jouir des plaisirs de la vie, ne haïssaient personne au monde, bien différens en cela de leurs