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l’Empire chinois de M. l’abbé Huc et les Histoires poétiques de M. Brizeux. On ne saurait répondre que ces ouvrages soient réellement les plus utiles aux mœurs ; l’un d’eux du moins, le livre de M. de Carné, sert à rectifier bien des idées sur les diverses époques révolutionnaires, et en montrant comment les malheurs et les catastrophes naissent des fautes des hommes, non d’une aveugle fatalité, l’auteur a replacé la morale dans l’histoire. L’Académie a une autre classe de lauréats qui certes ne sont pas les moins dignes d’estime. Ceux-là n’ont aucune prétention à l’esprit ; ils mènent une vie obscure et dévouée, ils accomplissent sans s’en douter des sacrifices héroïques, et un jour aussi sans s’en douter ils reçoivent une récompense académique. C’est M. de Noailles qui était chargé cette année du rapport sur les prix de vertu, et il a rempli sa tâche avec élévation, avec une sympathie réelle pour les classes populaires, en montrant le devoir également obligatoire dans toutes les sphères sociales, et en étendant son regard jusqu’à cette armée de Crimée, moins glorieuse peut-être encore par son intrépidité et son héroïsme que par sa stoïque abnégation, sa mâle vertu militaire et sa discipline toujours intacte.

Qu’on observe le monde contemporain dans ce domaine varié des événemens et des mœurs, de la philosophie et de la littérature, il y a un problème qu’on ne peut éluder : c’est celui de l’influence réelle de la révolution, des destinées de la société moderne, de ses forces nouvelles, de ses faiblesses et de ses épreuves. Ce problème, M. de Camé l’a sondé, en le suivant à travers l’histoire politique, dans ces Études que l’Académie a couronnées comme une œuvre de recherche impartiale et élevée. Un autre écrivain, M. d’Esparbès de Lussan, l’interroge à son tour dans un résumé plus général et plus succinct sur fa France et la Révolution de 1789. C’est là en effet l’inévitable point de départ : non pas que tout commence à cette date, ainsi que le répètent les sophistes à courte vue, mais du moins tout recommence dans la mesure créée par un esprit nouveau. C’est le sœclorum nascitur ordo du poète. Ce qui sortira de cet ordre nouveau, c’est la question de notre temps, qui n’a pu même encore arriver à assurer sa conscience sur les principes qu’il a embrassés. Quelle est la vraie nature de ces principes ? quelles sont leurs conséquences et leurs applications légitimes ? Dans quelles conditions placent-ils la société contemporaine ? Ce sont là des solutions livrées le plus souvent au souffle variable des événemens. L’opinion elle-même passe alternativement par toutes les phases de l’espoir et du doute, de l’enthousiasme et du découragement. Si notre temps s’est arrêté d’ailleurs à tant d’interprétations et à tant d’essais divers, n’est-ce point parce qu’on n’est pas parvenu à se faire une idée exacte de cette révolution accomplie à la fln du siècle dernier, à démêler le vrai et le faux dans cet assemblage de tant de choses contraires ? Le dernier mot de cette révolution, l’auteur n’hésite point à le dire, c’est l’établissement d’un régime mixte ou modéré fondii sur une liberté sensée, sur une juste égalité civile compatible avec toutes les distinclionsdu mérite, de l’intelligence ou des souvenirs traditionnels noblement recueillis. C’est là ce qui survit, ce qui surnage à travers toutes les expériences et tous les naufrages, et c’est là ce qui a toujours à combattre contre les excès les plus contraires. Dégager le véritable idéal social et politique de