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la colonisation se développe sur ce sol désormais conquis, et ce sera certes une des plus magnifiques possessions où la France aura eu l’honneur de porter la civilisation !

On ne saurait le méconnaître, cette exposition est un résumé merveilleux de tous les progrès du travail humain ; elle réunit les œuvres les plus puissantes ou les plus ingénieuses de l’industrie. Il est cependant un double sentiment qui s’éveille en présence de ce spectacle si varié. L’industrie, en perfectionnant ses méthodes, est arrivée à créer dans tous les genres des objets plus brillans, qu’un prix inférieur met à la portée de toutes les fortunes : elle satisfait à des besoins de luxe par un certain éclat extérieur ; mais la solidité répond-elle toujours à l’apparence ? En un mot, n’y a-t-il pas une diminution sensible de la qualité propre et intrinsèque ? Peut-être, en approfondissant cette question, trouverait-on que l’industrie est tout simplement en ceci la fille de notre temps. Il y a une autre chose qui effraie presque, c’est le développement de ce qu’on pourrait appeler la civilisation mécanique. Plus on va, plus l’action de l’homme disparaît dans le travail. Dans cette exposition, il y a des machines pour confectionner des chemises ou des chaussures ; il y a des machines qui jouent des airs de musique, il y a même une machine qui calcule et fait les opérations arithmétiques les plus compliquées ; il y en a aussi pour faire des enveloppes de lettres instantanément. Ce que toutes ces œuvres mécaniques représentent d’efforts, d’invention, de génie même, il serait difficile de le dire. N’est-il point à craindre toutefois que ce développement immense du génie mécanique ne finisse par paralyser l’action personnelle de l’homme, par effacer son originalité, et que cette influence ne s’étende à ses idées, à son esprit, à sa manière d’entendre les choses morales et intellectuelles ?

Que le génie des inventions matérielles se développe, soit : c’est un penchant de notre temps ; mais c’est un motif de plus pour fortifier les influences d’une autre nature, pour raviver sans cesse l’instinct des obligations et des devoirs dans la vie pratique, le goût de l’étude et les notions de l’idéal dans la vie de l’intelligence. Quel est le moyen de raviver ces notions, ces goûts et ces instincts quand ils faiblissent ? C’est là une question délicate et complexe qui semble se poser naturellement dans ces séances annuelles où l’Academie française décerne ses prix à l’histoire, à l’éloquence, à la poésie, à la vertu. Hier encore cette solennité se renouvelait à l’Institut. Ces séances académiques ont toujours un intérêt assuré : c’est celui de la parole de M. Villemain, qui fait de ses rapports sur les ouvrages couronnés une sorte de revue substantielle et pénétrante de mille points d’histoire et de littérature. Les questions difficiles, M. Villemain ne les redoute pas, il les traite avec cet art d’un maître éprouvé de l’éloquence ; il sème les aperçus et les jugemens savans ou ingénieux. Son analyse des œuvres de l’esprit s’anime et se colore. Ainsi il s’est retrouvé dans son dernier discours. Le sujet du prix d’éloquence à décerner cette année était un éloge du duc de Saint-Simon, ce Tacite familier des cours, et le prix a été partagé entre deux concurrens, M. Eugène Poitou et M. Lefèvre-Pontalis. Quant aux prix destinés aux ouvrages les plus utiles aux mœurs, ils ont été répartis entre les Études sur l’Histoire du gouvernement représentatif de M. de Carné, un livre sur