Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/1115

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Unis n’est point différente dans son principe de celle des tsars, et il y a même un fait à remarquer : depuis la guerre actuelle, les rapports de la Russie et des États-Unis ont pris un développement inaccoutumé. Il règne entre les gouvernemens une singulière activité de communications. Beaucoup d’hommes d’état américains ne cachent pas leurs sympathies pour la Russie. C’est que, comme nous le disions, entre ces deux peuples, à travers les contrastes de leur régime intérieur, il y a des analogies de principes et de tendances, exactement comme entre l’Angleterre et la France, vivant aujourd’hui dans des conditions politiques différentes, il y a le lien d’une intime solidarité morale ; il y a la nécessité d’une défense commune en Orient, dans le Nouveau-Monde et sur les mers. La paix fût-elle conclue en ce moment avec la Russie, cette nécessité ne serait pas moins évidente, et le voyage de la reine Victoria à Paris n’aura point été inutile sans doute à ce rapprochement permanent et durable des deux grands peuples de l’Occident.

Ainsi donc la poursuite de la guerre, la visite de la reine d’Angleterre, c’est là ce qu’on peut appeler le côté politique de la situation actuelle. L’exposition de l’industrie et des beaux arts ne montre-t-elle pas aussi cette situation sous un de ses aspects les plus caractéristiques ? Elle vient s’ajouter à cette étrange réunion d’événemens de l’heure présente, comme pour manifester la puissance active et féconde de la paix au milieu d’une guerre dont le terme ne s’aperçoit point encore. Ce n’est pas du premier coup que l’exposition de l’industrie est apparue dans son éclat et dans ses proportions. Lorsqu’elle fut inaugurée il y a quelques mois, on peut bien le dire, il régnait encore une assez grande confusion dans cette vaste enceinte encombrée de produits. Les drapeaux de tous les pays flottaient, quelque peu consternés, sur des monceaux de richesses à peine débarquées et à demi enfouies. Le jour s’est fait dans cette confusion, et on a pu avoir sous les yeux un des plus rares spectacles de la civilisation matérielle. On a pu contempler cette échelle merveilleuse de tous les produits, de toutes les œuvres, depuis l’humble bure jusqu’aux tissus les plus fins, depuis la brique jusqu’au marbre et au jaspe, l’or et le fer, le plus obscur minerai et le diamant le plus pur, des jouets d’enfant et les machines les plus puissantes. En un instant, on peut parcourir cette immense variété d’objets perfectionnés par le travail, et de même, en un instant, on peut aller d’une contrée à l’autre, comparant le génie et le caractère des peuples reflétés dans leur industrie. La France a naturellement la plus grande place dans la nef, et elle l’occupe avec honneur à coup sûr ; la France est un peu partout. L’Angleterre est venue, elle aussi, soutenir sa vieille renommée de première nation industrielle. Outre tant d’autres produits sérieux, estimables et utiles, l’Allemagne expose de belles armées de plomb, sans doute pour compenser celles qu’elle ne met pas au service de la cause européenne ; puis vous pouvez vous diriger vers la Suisse et ses montres, vers la Sardaigne et ses soies. À l’une des extrémités des galeries supérieures, vous vous trouvez tout à coup dans l’Inde anglaise ou en Turquie, dans l’Australie ou à Tunis. Une des plus curieuses expositions dans ce vaste ensemble est celle de l’Algérie, qui se trouve dans l’annexe au bord de la Seine. Elle est remarquable, non sans doute au point de vue industriel, mais par les produits naturels, par le blé, le maïs, le riz, les fruits, les bois. Que