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mois? Suivez-vous toujours les leçons du professeur? La boue, le froid et la neige ne vous chassent-ils pas du Jardin des Plantes? C’est aujourd’hui, ce jour que j’ai tant caressé, que je crains maintenant de voir arriver une heure de l’après-midi!

« Adieu, mademoiselle; quoi qu’il arrive, votre souvenir me restera longtemps dans la mémoire. »


J’arrivai dans la cour du Muséum, près de la petite porte grise, sous l’horloge. — Le cours est terminé depuis trois jours, me dit le gardien en m’ouvrant la porte.

Avoir porté si longtemps cette espérance en moi, l’avoir caressée pendant deux mois pour arriver à ce résultat, recevoir un tel coup en état de faiblesse, n’y avait-il pas mille motifs pour accuser la Providence? Mais le soleil était gai, la verdure commençait à se réveiller de son sommeil d’hiver; la convalescence rend égoïste. Échappé à de violentes tortures physiques, mon moral se refusait sans doute à me tyranniser. Je reçus ce nouveau coup du sort avec philosophie; peut-être une petite tristesse vint-elle grossir le nombre des sœurs grises qui tiennent un couvent au plus profond de mon être. Je m’en retournai à pas lents à la rue des Boulangers contempler la vieille façade et le petit guichet de la porte moisie, et je me dis : « Il vaut mieux sans doute qu’il en soit ainsi. Les amertumes de la passion n’ont pas eu le temps de pousser; songe plutôt à remercier les dieux. » Alors des pensées consolantes vinrent m’environner, qui pouvaient se formuler de la sorte : « Si tu en es digne, tu retrouveras la jeune fille. Ne cherche point à troubler sa tranquillité, ne t’embarque dans aucune folle entreprise pour la revoir; les agens mystérieux, hasard, destin, fatalité, te la feront retrouver, si tu en es digne. »


Depuis, j’ai beaucoup voyagé, me répétant sans cesse ces paroles; mais à chacun de mes retours je me sens attiré vers la vieille rue des Boulangers, et devant cette maison délabrée tout un hiver riant se déroule, me reportant chargé de violettes au Jardin des Plantes, pour en être chassé bientôt par les grimaces des singes goguenards.


CHAMPFLEURY.