Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/1096

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’échapper à mes poursuites. Néanmoins, voulant connaître le dernier mot de la situation, je redescendis l’escalier d’un bond, et j’arrivai encore à temps dans l’avenue des tilleuls, certain que les deux dames, quoique suivant une autre route, sortiraient du Jardin des Plantes. Où elles demeuraient, c’est là ce que je voulais savoir. Je pris plus de précautions pour n’être pas vu. Après un certain nombre de détours, les dames arrivèrent à la rue des Boulangers, qui est une rue escarpée, comme il s’en rencontre beaucoup sur la montagne Sainte-Geneviève. J’avais le soin de me tenir sur le trottoir opposé, à une portée de pistolet, et je ne m’aventurais dans les rues nouvelles qu’en étudiant avec soin les angles et les grandes portes où je pouvais me blottir. La rue des Boulangers forme tout à coup un coude à angle droit qui me cacha les dames, et je grimpai la montée plus vivement qu’avec des ailes. À l’angle était une maison en réparation avec beaucoup d’échafaudages ; je me glissai au milieu des maçons, et mes observations furent couronnées de succès, car je vis les deux dames entrer dans une grande maison de la rue. Aussitôt la porte fermée sur elles, je courus au bienheureux numéro, que j’inscrivis sur mon carnet, et je trouvai mon bonheur si grand que je n’en dormis pas.

La maison au numéro 24 était réellement une maison d’amoureux, noire, tranquille, vieille, d’apparence quasi abandonnée, et des grillages à toutes les fenêtres. Une vieille porte, qui ne semblait jamais s’ouvrir, était tout à la fois respectable et menaçante, surtout par un petit guichet de fer pratiqué dans le milieu d’un des battans, et qui sentait la province défiante d’une lieue. Ce guichet n’indiquait-il pas qu’on n’ouvrait du dedans qu’avec la plus grande précaution, et qu’on reconnaissait la physionomie des gens avant de leur donner entrée ? Il y avait quelque chose de claustral dans les murs humides en mauvais état, dans une petite porte bâtarde abandonnée qui sentait le moisi, et dans certains barreaux de fer rouillé qui se distinguaient à certaines fenêtres. On devait être bien enfermé dans cette maison aussi triste que les plus tristes maisons de la rue des Postes, de la rue des Poules, qui semblent des déserts à deux pas du mouvement bruyant du quartier latin. La maison me plut, car elle concordait avec l’esprit d’aventure qui me tenait ; une racine de plus s’accrocha en moi, et certainement l’aspect de cette vétusté y contribua beaucoup plus que si les dames étaient entrées dans une maison neuve et pimpante. Je n’étais plus dans Paris, mais dans une vieille ville de province : avec les idées que je me bâtis sur tout ce qui entoure les individus, l’auréole de la jeune fille s’enrichit de nouveaux rayons.

Le samedi qui suivit, j’achetai encore des violettes, mais