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jouaient en moi à la sortie du cours et qui me poursuivaient dans la ville. Plus que singe quelquefois, moins que singe souvent, ainsi pensais-je en regardant les hommes attentivement et en essayant de lire les vices et les passions qui s’agitaient en eux.

Quelques naturalistes ont été très audacieux et n’ont pas hésité à faire des animaux des penseurs. Je ne m’inquiétai pas d’approfondir les idées de ces savans, préférant m’en rapporter à moi-même; mais je me souviens que ces contemplations assidues de singes me tenaient l’esprit parfaitement sain et même porté à une certaine gaieté. Les mystères de la création ne se dissipaient pas malgré mes études, je n’entrevoyais aucun système nouveau à établir; mais j’étais heureux, quoique le grand inconnu restât toujours fermé à mon imagination. Les livres qui prétendent dévoiler l’éternité, ceux qui traitent de la vie future m’amusent extraordinairement rien que par le titre, car je n’en ouvris jamais et n’en ouvrirai de ma vie : ils sont bons tout au plus pour les esprits faibles qui veulent y puiser des motifs de conversation. La mort n’a rien de pénible pour ce qui est du résultat. N’est-ce pas la tranquillité absolue, le repos le plus complet? C’est l’avant-mort seule qui peut inspirer quelques craintes aux délicats, car trop souvent la nature a beaucoup de peine à détruire son propre ouvrage, et j’ai toujours pensé qu’il est fâcheux que le mécanisme si remarquable de l’homme ne se démonte pas avec autant de facilité qu’une montre tombée entre les mains d’un enfant curieux : à peine a-t-il touché à la première vis, que tous ces rouages savans s’arrêtent et s’endorment. Il est fâcheux qu’il n’en soit pas ainsi de l’homme.

Je n’ai jamais plus pensé à la mort qu’en revenant du cours des singes, et j’y pensais avec une philosophie parfaite. Que nous redescendions l’échelle des êtres après l’avoir grimpée lentement, qu’importe? Nous n’en savons rien, nous ne nous souvenons pas de l’avoir montée. Du moins je ne m’en souviens pas, car j’en connais qui prétendent avoir de vagues souvenances d’un certain passé; mais la nature humaine est si bizarre, qu’en ces matières comme en beaucoup d’autres il ne faut juger que d’après soi. Libres sont ceux qui croient se souvenir; pour moi, je suis certain que je ne me souviens de rien, et je nie, autant que mes facultés me le permettent, avoir été avant d’être. Je n’ai pas grimpé les échelons de la chaîne des êtres : si je n’ai pas monté, est-il présumable que je descendrai? N’ayant pas eu d’existence antérieure, la logique me permet-elle de croire à l’existence postérieure? Donc tranquillité parfaite, repos complet avant la vie, et peut-être après la mort!

Toutes ces réflexions, je les communiquais dans leur désordre à un ami qui s’en amusait beaucoup, qui ne prenait pas la peine de