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l’existence du Dollard, ce golfe dont le nom en hollandais signifie le furieux, sans doute pour exprimer l’impétuosité du choc qui rompit les défenses naturelles et ouvrit le passage aux vagues. D’autres inondations survinrent à différentes périodes dans le cours du XVe siècle. En 1507, une partie seulement de Torum, ville considérable, était demeurée debout : le reste de cette ville, en dépit de l’érection des digues et du barrage des rivières, fut enfin emporté ; cinquante monastères disparurent, engloutis, balayés par les flots.

Une des plus mémorables entreprises de la mer est encore celle qui éclata le 18 novembre 1421. Sur une réunion d’îlots formés par les sables de la Meuse s’élevaient soixante-douze villages : en un instant, les sables furent remplacés par un désert d’eau. La marée avait fait éclater une écluse près de Wieldrecht, dont il n’est resté que le nom. Trente-cinq villages furent irrévocablement perdus : on n’a pu en découvrir aucun vestige, si ce n’est pourtant une vieille tour, morne, solitaire, appelée la maison de Merwed. Plus tard, pour fixer les lieux où il était permis aux pêcheurs de jeter les filets, on reconstitua par conjecture le cours de la rivière, le vieux Maas, qui traversait le pays avant la submersion. Chercher dans l’eau où fut une rivière, quelle sombre et biblique figure du déluge ! L’endroit où les villages ont été détruits porte encore aujourd’hui le nom de Biesbosch, bois de joncs[1].

Tous ceux qui ont vu La Haye connaissent le village de Scheveningue, auquel conduit une des plus agréables routes qui existent dans le monde. Scheveningue était autrefois éloigné de la mer, et maintenant il touche à la plage. En 1570, la moitié de l’ancien village a disparu sous les flots. L’église actuelle, dont le charmant clocher semble demander grâce à la mer, fut élevée au milieu des sables pour en remplacer une qu’on avait construite à deux mille pas plus avant sur la côte, au centre du village d’alors, et qui fut anéantie[2]. Plus loin, vers Katvijk, autre village de pêcheurs, la mer, en quinze années, et cela au XVIIe siècle, avait fait disparaître quatre-

  1. À ces exploits de la mer se rattachent des chroniques locales. On raconte qu’un enfant de l’un des villages sur lesquels l’inondation allait s’étendre vit, en pompant de l’eau, sortir des poissons de mer. Tout surpris, il avait divulgué le tait, mais on en avait ri. Lui, plus sage, se décida à prendre la fuite. Peu de jours après, la catastrophe survint. Cet enfant fut le seul de son village ou presque le seul sauvé. Malheureusement la tradition ajoute que l’enfant, devenu homme, fit un mauvais usage de sa sagacité : il vola et fut pendu.
  2. Lors de sa destruction, elle venait d’être érigée en paroisse, après avoir été longtemps une chapelle.