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ou n’a que peu modifié les élémens sociaux primitifs. Puisque dans de semblables contrées il s’est opéré des révolutions profondes et des destructions totales, il faut bien reconnaître qu’il y a autre chose que les conditions de race et de climat dans la destinée des nations, et que les mouvemens politiques obéissent à des lois dont le secret doit être cherché plus haut.

Nous pourrions citer nombre d’exemples du phénomène que nous venons de signaler. On verrait ainsi la Grèce, théâtre de tant de changemens politiques, la Grèce, dont la décadence remonte aux temps mêmes où le christianisme fut révélé au monde, ne pas varier dans les traits caractéristiques de sa nature et de ses habitans. Je veux toutefois choisir ici un exemple plus saisissant encore et moins vulgaire, tiré d’un pays que l’érudition moderne ne cesse d’explorer avec un succès plus marqué de jour en jour. L’Égypte, qui n’offre plus maintenant que des ruines, domine par sa grandeur et son importance toute l’antiquité. Terre ancienne entre les plus anciennes, l’Égypte est encore aujourd’hui ce qu’elle fut au temps des pharaons et à l’époque des pyramides. C’est un vaste désert qui ne tire sa fertilité que du fleuve dont le cours prolongé et presque parallèle au méridien le traverse de part en part. Toutes les descriptions que les écrivains grecs nous ont laissées de ce pays s’adaptent parfaitement à ce qu’il est de nos jours. Le Nil en règle les saisons, l’agriculture et presque les mœurs. La race égyptienne, malgré la conquête des Arabes et l’introduction de l’islamisme, est encore empreinte du même caractère qu’au temps de Joseph et de Moïse. Sa physionomie morale n’a pas changé davantage. Ce peuple esclave et docile se courbe maintenant sous le sabre et la courbach du Turc, comme il le faisait il y a trente siècles sous le fouet des pharaons. Ses monarques ont été remplacés par des souverains grecs, par des empereurs romains et leurs préfets, par des gouverneurs venus de Byzance, des sultans venus de l’Arabie, des pachas envoyés de Constantinople, et ces révolutions n’ont en rien changé la contrée et le peuple, aussi immuable que son climat, aussi immobile que ses pyramides. Et cependant quel contraste de grandeur et de puissance ! Peut-on croire que ce pays, dont les ruines font maintenant, avec le blé, la seule richesse, ait dicté jadis des lois à une partie de l’Asie, instruit les philosophes de la Grèce, imposé plusieurs de ses croyances à l’empire romain et tenu en esclavage les tribus d’où devait sortir la lumière du monde? Pour pénétrer le mystère de si grandes vicissitudes, il faut descendre dans le détail de l’histoire d’Égypte et suivre dans les annales de sa littérature, de sa religion et de ses arts le mouvement qui a si complètement cessé aujourd’hui.

Avant que les dernières découvertes des égyptologues eussent jeté un jour précieux sur la chronologie des premières dynasties, sur les transformations et les altérations qui se sont opérées dans la langue, dans les institutions, dans le culte et les arts des Égyptiens, on se figurait que tout avait été immuable parmi eux. On prenait la vieille Égypte en bloc comme un monolithe historique qu’il fallait tirer du sable dans lequel il était enfoui, et l’on ne distinguait ni les localités ni les époques. Une étude plus attentive et plus complète des textes nous a appris que la langue égyptienne avait subi des modifications profondes; la comparaison et le rapprochement des listes royales