aussi de rechercher l’origine de ces masses d’hommes déclassés, de prétendans besoigneux, qui, privés par leur éducation d’un but qu’ils puissent atteindre, emploient à troubler le pays des facultés qui devraient servir à sa grandeur et à sa prospérité. Cette catégorie est d’autant plus digne d’attention, qu’elle est plus nombreuse en France que dans aucun autre état de l’Europe. En attendant les résultats éloignés d’une pareille étude, il en est de très considérables qui peuvent ressortir immédiatement des travaux du savant académicien.
Si, par exemple, le département de la justice modérait le zèle avec lequel certains parquets entassent dans les maisons d’arrêt des prévenus qui, trouvés coupables après plusieurs mois d’attente, sont condamnés à quelques jours de prison, s’il imprimait à l’instruction des affaires une activité qu’elle n’a pas partout, un grand nombre d’hommes serait soustrait à la contagion de la détention. Il ferait plus de bien encore en arrêtant ces exactions d’officiers ministériels dont on a vu les hideuses conséquences. Il faut habiter les campagnes, entrer dans les chaumières, pour se faire une idée du degré d’exaspération auquel peuvent arriver les victimes de ce genre d’exploitation. Le socialisme n’a pas eu d’autres véhicules dans beaucoup de départemens, et des masses de paysans feraient volontiers une révolution contre les offices ministériels, dans lesquels la société se personnifie à leurs yeux, comme ils en ont fait une contre la féodalité. M. Bérenger a reculé devant le milliard qu’il en coûterait pour racheter les offices et tarir la source des crimes et des désordres qui peuvent en descendre indirectement. Il serait pourtant possible que le marché fût bon. Pourquoi d’ailleurs laisserait-on la cupidité des vendeurs d’offices exploiter la fortune et la moralité du pays ? Tout droit a pour corrélatif un devoir, et le privilège qui manque de cette sanction doit peu compter sur l’avenir.
On agit sur les prisons quand on réforme la société, et l’on agit sur la société quand on améliore le régime intérieur des prisons : c’est là, ce qu’a surtout voulu faire M. Bérenger ; mais une erreur d’homme de bien le rend, nous le craignons, trop exigeant vis-à-vis de la nature humaine : il en attend plus qu’elle n’est en état de donner, et c’est là le seul défaut qu’on puisse reprocher à son travail. À l’étendue et à l’élévation des devoirs qu’il voudrait imposer aux agens de la justice répressive, connaît-il beaucoup de cardinaux dignes d’être aumôniers d’une prison ou de ministres capables d’en être directeurs ? Le personnel détenu lui ferait éprouver de bien plus cruels mécomptes. Il a demandé quelque chose de beaucoup plus sûr et plus efficace dans une forte constitution de l’administration pénitentiaire sous la direction d’un surintendant, comme cela se voit en Angleterre. Il est clair que c’est par là qu’il faut commencer.
J.-J. BAUDE.