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établissemens que nos anciens bagnes d’esclaves. Ceux qu’on y renfermait étaient des malheureux, et non des criminels; la plupart étaient même honnêtes et braves en y arrivant. Eh bien! au bout de quelques mois de bagne, tant l’air de la captivité est corrupteur! ils devenaient menteurs, perfides, larrons, traîtres; il n’en échappait presque point à cette peste morale. S’il en était ainsi d’infortunés dont tout le tort était d’être tombés sous le yatagan de nos corsaires, que peut-il sortir d’agrégations de scélérats de profession qui, dans un contact immonde, s’inoculent mutuellement les divers genres de pourriture dont chacun d’entre eux est infecté? A en juger sur l’expérience des bagnes, les prisons d’Europe doivent être des foyers d’infection qui font payer chèrement à l’état l’imprudence qu’il a eue de les établir. Rien de semblable dans notre loi. Loin d’ajouter à la perversité des coupables, nos corrections énergiques et brèves ne manquent jamais de leur inspirer, entre mille salutaires réflexions, un ferme propos de ne s’y plus exposer. C’est là sans doute, après la crainte de Dieu, que nous ressentons à un autre degré que les nazaréens, une des principales causes de l’infériorité du nombre des crimes, et surtout des récidives, en islam comparativement à ce qu’il est dans ton pays.»

De tels argumens pouvaient paraître spécieux à la place où les développait Moustapha; mais la justesse locale de ces raisonnemens barbaresques ne pouvait guère séduire un homme qui avait fait son droit. Me rejetant donc sur la différence des mœurs de l’Europe et de l’Afrique, j’appelai à la défense de nos lois et de mes opinions les lieux-communs que je me rappelais avoir été le plus applaudis dans les discours à effet que j’avais entendu prononcer sur le système pénal. Ce fut de l’érudition perdue. J’eus beau m’efforcer de rappeler Moustapha au sentiment de la dignité humaine : loin de rougir, il soutint obstinément que l’atteinte était dans le crime et non dans la punition, et que dix voleurs ramenés au respect du bien d’autrui par les verges de ses chaoux étaient plus recommandables qu’un scélérat qui, instruit en prison à faire trophée de ses vices et de ses crimes, en sortait avec un redoublement d’impudence et de perversité. Enfin il prétendit que les châtimens étaient institués uniquement pour garantir la sûreté de la société, que les meilleurs étaient ceux qui corrigeaient le mieux les coupables, prévenaient le plus de crimes; qu’il était puéril de se décider par de petites considérations quand il en existait de grandes, et il termina en me portant le défi de prouver par des faits (ces barbares ne tiennent aucun compte des discours !) que les châtimens de notre loi valaient sous ce rapport ceux de la sienne.

Je sens trop le tort que peuvent faire à la mémoire de mon ami ses préjugés en faveur des châtimens corporels pour ne pas