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plus de mal; il n’est point d’argumens spéculatifs pour ou contre qui n’aient été produits dans le débat. Une seule voix, celle de l’expérience, juge souverain des systèmes, n’a point encore dit son dernier mot; mais elle a mis hors de la discussion un certain nombre de résultats dont il ressort avec évidence que l’isolement dans la détention n’est ni une panacée ni un poison, et que, comme la plupart des remèdes, il opère d’une manière tantôt heureuse, tantôt funeste, suivant les tempéramens, les circonstances et les maladies.

L’extrême inégalité des effets du régime cellulaire sur les individus auxquels il s’applique en est le premier défaut. La solitude de l’homme lettré qu’on enferme est bientôt animée par ses pensées, peuplée par ses livres; elle lui devient légère, peut-être même finira-t-il par ne point s’y déplaire, et elle peut se prolonger sans danger pour sa santé ni pour son intelligence. L’être inculte ou seulement voué à la vie errante des grandes routes, aux travaux pénibles de la campagne et aux exercices violens qui deviennent une condition de l’existence, l’oisif agité des grandes villes lui-même, tombent bientôt sous ce régime dans le désespoir et finissent souvent par les vices les plus honteux et par l’idiotisme. Le détenu n’est, il est vrai, absolument séparé que de ses pareils, et son isolement n’a rien de l’horreur du secret; il est en communication fréquente, si ce n’est continue, avec ses gardiens; il voit sa famille, quand il en a une et quand elle vient à lui; il reçoit des consolations de pieux visiteurs qui se multiplient par leur zèle, et celles-ci ont même été fort abondantes dans les premiers temps de ferveur des adeptes du nouveau régime. Toutefois ces moyens de combattre les suites délétères de l’isolement n’ont d’efficacité qu’autant que le rapport entre le nombre des visiteurs et celui des prisonniers n’est point trop faible. Si la sollicitude se lasse, si l’uniformité des situations amène la tiédeur et la banalité des exhortations chez les patrons, le dégoût, le vice, la nostalgie, ne tardent pas à reprendre possession des détenus, et leurs ravages s’exercent surtout parmi les adolescens. Ce n’est d’ailleurs point chose commune qu’une charité qui, résistant à la fatigue de communications journalières avec une classe essentiellement hypocrite et menteuse, s’obstine à semer dans un champ stérile, quand des terres fécondes s’offrent à ses soins de tous côtés. Si des villes populeuses ont fourni quelquefois à cette charité des organes assez nombreux pour desservir des établissemens très limités, il ne faut pas s’attendre à la rencontrer dans les lieux isolés où sont situées les maisons de détention les plus considérables. Les dangers du régime cellulaire sont ainsi privés de leurs correctifs dans les grandes agglomérations de condamnés, et l’application en est par là singulièrement limitée.

S’il est un moyen efficace de corriger, d’amender les condamnés et de les préparer à rentrer dans la société, c’est incontestablement